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Le "double standard" de Washington

Publié le 25 septembre 2012 par Unmondelibre
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La réaction de Washington face à la montée des mouvements contestataires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient est à « géométrie variable ». Les dirigeants américains n’ont pas hésité à soutenir les mouvements dits pro-démocratiques dans les pays qui sont les adversaires des États-Unis. Tant l’administration Obama que le Congrès ont lancé des condamnations à l’encontre des régimes dictatoriaux en Iran, en Libye et en Syrie qui contrecarraient les aspirations démocratiques de leurs peuples et réprimaient brutalement des manifestations pacifiques (et d’autres beaucoup moins pacifiques). Dans le cas de la Libye, les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN sont allés au-delà des appuis verbaux aux insurgés et ont lancé des frappes aériennes et fourni une assistance cruciale pour aider à renverser Mouammar Kadhafi. Un tel soutien semble de plus en plus probable en Syrie.

La réponse américaine aux mouvements opposés aux dictatures amies des États-Unis a été en revanche tout à fait différente. Washington a tergiversé sur l’opportunité de retirer son soutien à des « clients » dans des pays tels que la Tunisie, le Yémen et l’Egypte. Une réticence similaire est évidente à l’égard du conflit au Bahreïn. Les accusations d’hypocrisie américaine se multiplient alors que la famille régnante sunnite intensifie sa répression contre les opposants politiques pour la plupart chiites. Le gouvernement Bahreïni est en train de devenir une source d’embarras majeure et un casse-tête géopolitique pour les États-Unis. Ce n’est pas une broutille : le Bahreïn est le port d’attache de la Cinquième Flotte de la US Navy.

Le Bahreïn est parfaitement situé pour être un pion dans la lutte entre sunnites et chiites pour la domination du Moyen-Orient. La monarchie sunnite de la petite nation insulaire dans le golfe Persique règne sur une population qui est à près de 70 % chiite et les discriminations contre celle-ci se manifestent dans presque tous les aspects de la vie. Téhéran soutient ouvertement les factions chiites au Bahreïn, et l’Arabie saoudite est le protecteur principal du roi Hamad ben Issa al Khalifa du Bahreïn.

Lorsque des manifestations massives anti-régime ont éclaté à Manama, la capitale du Bahreïn, début 2011, les forces de sécurité ont répondu par des tirs à balles réelles, tuant plusieurs dizaines de manifestants. En dépit de cette répression, les insurgés auraient pu renverser la monarchie si l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe n’était pas intervenus avec deux mille soldats en Mars 2011.

La réponse tiède de l’administration Obama était en contraste marqué avec la condamnation virulente de répressions similaires en Iran, en Syrie et en Libye. Le nombre de morts pendant les manifestations initiales au Bahreïn et dans les mois suivants a été relativement modeste, les estimations vont de 60 à 100. Mais la population de Bahreïn est très petite : quelque 1.235.000 personnes. Sur une base « par habitant », la proportion de morts a été comparable ou supérieure à celle des autres pays moyen-orientaux. En outre, le nombre de morts n’est pas la seule mesure de la brutalité de la monarchie. Les forces de sécurité du Bahreïn ont emprisonné des centaines d’adversaires du régime, y compris des journalistes nationaux et étrangers ayant osé produire des reportages critiquant le gouvernement. Amnesty International et d’autres organisations des droits de l’homme ont également documenté plusieurs cas de torture.

Pourtant, la réponse de Washington à la répression, et même à l’intervention saoudienne, a été extrêmement douce. La déclaration officielle de l’administration n’a même pas spécifiquement critiqué l’Arabie saoudite pour l’envoi de troupes. Au lieu de cela, le Département d’Etat a critiqué l’intervention de « voisins » (signifiant apparemment l’Iran et l’Arabie Saoudite), la qualifiant d’« alarmante », et averti tous les acteurs de la région de garder « leur propre agenda » en dehors de la lutte entre la monarchie et ses adversaires. Cette impartialité américaine s’est également appliquée au conflit interne lui-même. Tout en prévenant la monarchie Bahreïnie qu’une répression sécuritaire n’était pas une réponse appropriée aux demandes de réformes politiques et économiques, le Département d’Etat a également exhorté l’opposition au calme : « Vous ne pouvez pas utiliser la violence. Vous devez retourner à la table des négociations ».

Une telle neutralité morale a été fort différente de la position américaine à l’égard de la crise en Iran, en Syrie et en Libye. Ce « deux poids, deux mesures » est devenu encore plus évident en mai 2012, lorsque, malgré la persistance de rapports crédibles sur des emprisonnements arbitraires et tortures d’opposants au régime, Washington annonçait la reprise des ventes d’armes au gouvernement du Bahreïn. Michael Hayworth, un porte-parole d’Amnesty International, a déclaré que « la suggestion faite par les États-Unis qu’il y a des tentatives de réforme est une insulte aux militants du Bahreïn qui continuent de demander, et de saigner pour, les droits de l’homme. »

L’espoir que les responsables de l’administration Obama auraient pu avoir que la monarchie adoucisse son traitement des opposants au régime s’est bientôt révélé infondé. En septembre, un tribunal de Bahreïn a confirmé les peines de prison pour treize principaux dirigeants de l’opposition (y compris la perpétuité pour sept d’entre eux) des peines qu’un tribunal spécial, largement partial, avait demandées en juin 2011.

La répression continue bahreïnie et sa brutalité mettent Washington dans une position très inconfortable. Les dirigeants américains ont clairement donné la priorité à la préservation du principal port d’attache de la Cinquième Flotte. L’analyste Michael Rubin, va-t-en-guerre congénital, concède: « En tant qu’hôte de la cinquième flotte américaine, Bahreïn est la clé de voûte de la stratégie régionale de l’Amérique. L’administration Obama a raison de s’inquiéter de ce que le renversement de la monarchie au Bahreïn puisse conduire à l’éviction des intérêts américains dans cette petite nation insulaire ». Au-delà de cette considération, les dirigeants américains suspectent sans nul doute un soutien de l’Iran aux factions anti-régime et craignent qu’un changement de régime au Bahreïn ne renforce le pouvoir et l’influence de Téhéran.

Mais le flagrant « double standard » de Washington signifie davantage qu’un risque modeste. Non seulement cette hypocrisie est-elle notée mais aussi exploitée dans l’Iran chiite, mais elle a conduit à la critique de la part de la majorité chiite de l’Irak voisin, et des populations chiites en Syrie et au Liban. On pourrait aussi s’interroger sur la réaction de la minorité chiite d’Arabie Saoudite.

Les Etats-Unis courent un double risque avec leur soutien continu à la monarchie du Bahreïn. Ce « deux poids, deux mesuresrenforce d’abord le point de vue cynique parmi les populations du Moyen-Orient et ailleurs que l’Amérique ne défend la démocratie et la liberté humaine que quand cela arrange les intérêts de Washington. L’autre danger est que les États-Unis s’empêtrent toujours davantage dans l’ancienne querelle entre les branches sunnite et chiite de l’Islam. L’ingérence de Washington en Syrie suscite des préoccupations similaires, et la probabilité d’un sérieux retour de flamme contre les Etats-Unis est très élevée eu égard à la fois aux situations syrienne et bahreïnie.

Le problème impliquant le Bahreïn n’est pas près de disparaître. Le gouvernement du roi Hamad, soutenu par son patron l’Arabie, semble déterminé à garder le pouvoir, peu importe la brutalité qu’il doit employer. Et la majorité chiite devient de plus en plus agitée et en colère face à un tel règne autocratique et discriminatoire.

Le casse-tête bahreïni de Washington ne peut que s’aggraver.

Ted Carpenter, le 25 septembre 2012 - Ted Carpenter est analyste au Cato Institute à Washington DC.


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