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Maupassant est un roman

Publié le 27 septembre 2012 par Les Lettres Françaises

Maupassant est un roman

Une nouvelle biographie vient confirmer la place de l’auteur de Bel-Ami dans le paysage littéraire français.

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Revue culturelle et littéraire les lettres françaises Maupassant

Portrait de Guy de Maupassant, par Feyen-Perrin

Maupassant ne connaît pas la crise. Il est lu, étudié, adapté. Son oeuvre est limpide : six romans, trois cents contes, édités, réédités ; des volumes de chroniques ; des lettres à foison, salaces, drôles, méconnues. Sa vie de bâton de chaise n’offre plus guère de secrets. Pierre Borel, Armand Lanoux, René Dumesnil, Jacques Chessex, Alberto Savinio et d’autres, professionnels des colloques, romanciers adoubés, analystes en tous genres ont suivi sa trace de joyeux drille, de journaliste pressé, de don Juan syphilitique, d’écrivain hanté. Il fallait du courage, une dose de défi pour accepter de revisiter ce destin haché dans le cadre d’une biographie calibrée. À défaut de révélations, Frédéric Martinez apporte son style, alerte, forcément elliptique, empathique. Il reconstruit la vie de son héros comme un drame en cinq actes : « Le jeune homme et la mer », « Amertumes ministérielles, « Des débuts fracassants », « Où fuir ? », « Dernières nouvelles avant la nuit », eux-mêmes découpés en scènes pour mieux marteler au lecteur les étapes de cette vie qui se joue devant nous comme un spectacle. Il ne refrène pas sa sympathie pour Laure, la mère insatisfaite, son dédain pour Gustave, le père transparent et volage, sa pitié pour Hervé, le frère halluciné. Il place sa loupe de biographe sur quelques événements marquants de l’adolescence : une noyade évitée de justesse ; une humiliation traumatique par Fanny, séduisante et intouchable voisine, qui le dégoûte à jamais de l’amour et le jette dans les bras de Schopenhauer ; l’amitié protectrice et connue de l’immense patient de Croisset.

Né treize jours avant la mort de Balzac, Maupassant attrape le réalisme en même temps que la syphilis. Nourri de vie sauvage, de virées en mer et d’alexandrins trop grands pour lui, il connaît les blessures habituelles des enfances et garde dans sa chair l’horreur des pensionnats, l’exaltation des retours à Étretat, l’ivresse de l’eau. Des rencontres sont décisives : avec le fantasque Swinburne et sa main d’écorché, avec le bienveillant Rouennais Bouilhet qui lui fait fréquenter Flaubert, ami de sa mère et reclus volontaire qui deviendra son plus précieux censeur et son professeur de désir. Il a vingt ans quand Napoléon III se fait déculotter à Sedan. Il réchappe des Prussiens, mais comme l’écrit Lanoux, il a désormais la guerre, incurable maladie. Voilà Paris et les sombres saisons de ministères illuminées par les seuls dimanches au bord de l’eau : il yole et trousse les filles ; il multiplie les farces, s’essaie aux turqueries, pastiche Rabelais, se tourne vers le théâtre, s’en détourne parce que, décidément, le théâtre est bien trop inférieur au roman. Son corps le trahit : le coeur, l’estomac, les yeux, les dents. Il est vérolé et joue le fier : « Je méprise par-dessus tout les bourgeois. Alléluia ! J’ai la vérole, par conséquent, je n’ai plus peur de l’attraper… » L’histoire ne dit pas s’il se soucie de ses partenaires. On sait seulement qu’il les collectionne comme d’autres les coléoptères. Flaubert est bluffé par ses performances, comme il sera bluffé par Boule de suif : « Ce petit conte restera… Quelles belles binettes que celles de vos bourgeois ! Pas un n’est raté ! J’ai envie de te bécoter pendant un quart d’heure ! » L’élan est pris, les contes et les chroniques s’enchaînent. Pendant dix ans, Maupassant devient le forçat des lettres admiré de tous et surtout de toutes avant de sombrer dans la nuit du Horla. La biographie de Frédéric Martinez est menée tambour battant. On le suit à pas pressés, on apprécie ses raccourcis, ses bons mots. Il navigue à son aise dans la Belle Époque. Il reconstitue avec bonheur les paysages normands, italiens, algériens, les décors, finalement très symboliques, des maisons et des appartements du chroniqueur errant. Il n’oublie pas les noms des chats, des chiens, des bateaux. Il se délecte des marivaudages épistolaires avec de pressantes admiratrices aux noms exotiques dont beaucoup succomberont : Gisèle d’Estoc, Marie Bashkirtseff, Geneviève Bizet, Hermine Lecomte de Noüy, Emmanuela Potocka. Il consacre de belles pages au dévouement qu’il porte à son frère malade, à sa mère vieillissante, à François Tassart, son fidèle et surprenant Sganarelle. Il sait montrer la dictature croissante de la folie. On aurait pu éviter ces notes avec leur litanie d’ibid. et les remplacer par un toujours précieux index. Pour les habitués de Maupassant, cette biographie est une utile et tonique révision, pour les autres, elle sera une entrée séduisante dans la tumultueuse vie du serial conteur. Parmi les judicieux extraits des lettres citées, on gardera ces conseils prodigués aux apprentis écrivains : « Surtout n’imitez pas, ne vous rappelez rien de ce que vous avez lu ; oubliez tout, et (je vais vous dire une monstruosité que je crois absolument vraie), pour devenir bien personnel, n’admirez personne. »

Maupassant, de Frédéric Martinez, Folio « biographies », 403 pages, 8,60 euros. Dans la même collection vient de sortir un Flaubert par Bernard Fauconnier, 290 pages, 8,10 euros.

Jean-François Nivet

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