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Des politiques sensibles aux troubles peopolaires

Publié le 27 septembre 2012 par Rolandlabregere

Michel Schneider a publié en 2002 un ouvrage (Big mother, psychopathologie de la vie politique, éditions Odile Jacob) qui dresse un constat accablant des pathologies de la vie politique dans les sociétés d’aujourd’hui, notamment en France. Dans un entretien donné au Monde (25 août 2012), il démonte les mécanismes de l’addiction à l’image qui caractérisent les acteurs publics séduits par  les effets de l’immédiateté.

L’auteur dégage quatre thématiques qui ont contribué à installer la prééminence de l’image sur la réflexion : la personnalisation du pouvoir, la vulgarisation de la parole publique, l’hypermédiatisation de la société, et la vie politique dégradée. « Aujourd’hui, gouverner, c’est se faire voir », précise-t-il. Bien des réflexions qui animent l’auteur sont dans le sillage des partis-pris de ce blog. Se sentir moins seul ne signifie pas néanmoins que la qualité de psychanalyste et d’écrivain n’autorise pas la discussion des propositions.

Le pouvoir personnalisé

Les acteurs publics se laissent aller à une communication dite performative. Dire, c’est faire. L’attitude de satisfaction permanente des responsables publics confisque la parole de tout citoyen Qui n’a pas eu à constater, au cours d’une campagne électorale par exemple, que l’action publique se résume à montrer le bon choix d’une décision ou d’une politique ? La parole performative ne suppose pas de réponse. Cette parole a pris le pas sur l’action. L’homme politique ne veut surtout pas entendre des propos qui seraient exigeants face à sa pratique du contact rapide et souriant. Si une question pointe son nez, alors l’élu esquive, se déporte vers sa droite et glisse à l’intrus « voyez mon assistante pour lui remettre votre dossier » ou « prenez rendez-vous avec mon assistante ». Pas question de dialoguer avec un tiers qui pourrait interrompre le bon déroulement d’une communication conçue uniquement pour se montrer proche des citoyens. « Les politiques qui autrefois visaient à rassembler les Français, ne pensent plus qu’à leur ressembler », note l’auteur. C’est, dit-il, l’absence de sens commun qui fait défaut à l’homme politique contemporain. « Commun, cela évoque le bien commun, qui reste la visée ultime de l’action politique ; et aussi le sens commun, qui n’est pas le bon sens auquel Sarkosy faisait appel à répétition, mais le sens partagé dans ce qu’on appelait autrefois une société ». L’auteur oublie toutefois de mentionner que les Français ont agi avec un certain bon sens en rendant sa liberté à l’ancien maire de la ville de Neuilly. Cela pour le bien commun.

Vive le parler vulgaire !

La parole publique se laisse aller aux facilités qui laissent croire que le politique est proche des gouvernés. « Quelle honte qu’un Berlusconi dans un pays de haute culture, qu’un Sarkosy dans un pays de littérature revendiquent le parler vulgaire pour parler au « vulgaire », c'est-à-dire au peuple tel que le voient ceux qui se croient appelés à le séduire pour le dominer ». L’auteur reproche aux politiques de se couler dans une langue « pleine de sous-entendus, de dérapages, de mots empruntés au vocabulaire de l’économie ou du sport que l’on croit seuls compréhensibles par le public ».

Le paraître s’entend avec le dire. « Gouverner, c’est se faire voir », insiste Michel Schneider qui détourne ainsi la formule gouverner, c’est prévoir du journaliste et homme politique, promoteur de la presse populaire au XIXème siècle, Emile de Girardin. Pierre Mendès France tira de son expérience gouvernementale difficile une vision de l’action publique qu’il résuma dans la formule « gouverner, c’est choisir ».

Le désir de se faire voir entraîne la frénésie d’être vu.  En témoignent les démarches de communication qui travaillent à la bonne réputation iconographique de chaque élu. Les médias numériques complètent l’attirail communicationnel embarqué auprès des acteurs de la vie publique. « La politique était naguère une scène : meetings, estrades, arènes du Parlement. Elle est devenue écran, miroir où gouvernants et gouvernés se regardent en reflets pixellisés ». Le désir d’images tenaille les politiques pour lesquels nombre d’entre eux sont prêts à se compromettre dans des comportements low coast.

La vie publique hypermédiatisée

La peopoliation des politiques a été mise en route dans les années 2005-2012 : elle s’est installée sur fond de connivence entre les people canal historique et les politiques avides de visibilité médiatique. Ceux-ci sont sommés par les médias d’être réactifs sur tous les sujets et  singent les premiers qui exhibent leur vie privée et leurs ébats d’âme. Schneider souligne avec justesse que l’expression « première dame de France » en dit long sur la porosité entre les deux mondes. Au final, les politiques et les people forment une seule tribu qui fréquente les mêmes lieux et les mêmes personnalités des médias. Pour être admis au banquet des people, les politiques ont adoptés leurs façon de faire, leur langage et leurs attitudes.

« Où sont les caméras ? » demandait, dit-on, Giscard d’Estaing dès qu’il paraissait en public. Schneider parle d’une « addiction à l’image ». Les magazines des institutions territoriales abondent d’images où se lit la mise en scène de l’action publique au service de la glorification et « l’autopromotion » des élus. Le cumul des mandats favorise l’empilement des images. Schneider maintient son diagnostic en affirmant que « la même dérive frappe les hommes politiques comme les hommes ordinaires ». Les images ne sont présentes que pour annoncer les images à venir. L’image est le besoin de l’homme public qui ne sent « que si une caméra le confirme ».

La vie publique dégradée

Le « dévoilement » orchestré par les acteurs publics eux-mêmes est l’un des traits « de cette culture de perversion narcissique ». Sur cette question, encore, les années 2005-2012 ont inauguré et installé la mise en scène de soi. La faute, selon Schneider, revient aux médias «qui ne médiatisent plus rien mais transmettent vers le haut les résultats des sondages et vers le bas les éléments de langage ». Tant il faut plaire, les décisions sont prises avec l’envie irrépressible d'emporter l'adhésion. Les  conseillers des cabinets sont débauchés dans les organismes de sondages.  La confusion entre la  vie privée et la vie publique fait le reste. Elle se marque pour l’auteur par un double mouvement de «  publicisation de la vie privée, y compris amoureuse (inaugurée par Sarkosy, poursuivie par Hollande) » et de « privatisation de la sphère publique sous l’effet à la fois du rétrécissement du domaine d’intervention de l’Etat et de la multiplication des affaires relevant du conflit d’intérêt ».

°°°

 Michel Schneider pose un diagnostic de premier niveau. Il s’en tient aux formes apparentes de la prééminence de l’image métaphorique de l’action politique. La partie visible correspond en effet à ses constats. Regardez mon projet, il est réussi parce qu’il me ressemble ! semblent dire les décideurs publics quand il s’agit de vanter les mérites de leurs démarches. La vie publique impose une exhibition consentie de soi. Parfois, des médias réputés moins sensibles à la peopolisation se font reprendre par leurs lecteurs pour un titre équivoque, une photo, une allusion…, réactions qui ne font que souligner la dimension sans doute irréversible de la dégradation du discours public. Hollande comme son prédécesseur, avec moins d’ostentation et de gourmandise, a néanmoins sacrifié aux nécessités d’une exhibition de l’intimité. Il est sans doute difficile d’y résister. Sarkosy gavait les médias, en particulier les réseaux sociaux, au carburant qui leur est indispensable. Sous son règne, les politiques les plus en vue s'étaient adaptés au rythme frénétique déterminé par des médias mobilisés par une double attitude de courtisanerie et de concurrence. Le président d'aujourd'hui agit, pour l'instant, avec plus de mesure. Les médias sont contraints par la nécessité de composer avec le tempo qu'il impose.

Toutefois Michel Schneider ne dépasse pas les constats qui lui font dire que l’action publique est désormais subordonnée à l’immédiateté de la parole. Les tendances qu’il relève ne peuvent croître que dans le contexte d’une lourde dépolitisation de la société française, élément qu’il n’aborde pas. Cette orientation trouve sa racine dans la vision que les élus proposent eux-mêmes. En privilégiant la gestion et les démarches visant les attitudes consensuelles au détriment de la vie politique, les élus ne montrent aucune appétence pour le débat préférant paraître lors d’événements où la prise de risque est fort limitée. Dans le même temps, les médias traditionnels et les médias numériques occupent en permanence l’espace de la communication. Ces deux faits sont à la fois source et résultat du déclin de la culture républicaine. Marine Le Pen en fait ses délices.

« Encore un effort pour être démocrate ! », conclut l’auteur. Sans doute, mais la responsabilité des politiques est de première importance. La culture républicaine découle de la transmission et de l’éducation qui furent laissés en déshérence pendant deux quinquennats.

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