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43 - Entretiens avec un fourbe

Publié le 28 mars 2008 par Theophile

Carsuit_2 Les coups de klaxon devant la maison de mes grands-parents allaient devenir un rituel. Pendant plusieurs mois, "l'autre" effectuait des allers-retours pour tenter de nous récupérer. Nous restions souvent plusieurs heures ainsi,  dans un silence interminable à l'écouter pleurer, se plaindre de notre absence, l'entendre déclarer son éternel amour envers chacun de nous, nous dire qu'il n'est rien sans sa femme et ses enfants.
Ce qui était sécurisant, c'est que pendant toute cette période, nous étions bien entendu sous la surveillance de mes grands-parents qui veillent sur nous à travers le rideau de la fenêtre, mais c'est que "l'autre" se montrait d'une douceur que je ne lui connaissais pas. Sa mauvaise foi n'en était pas moins redoutable, mais il maîtrisait son humeur impatiente et bouillonnante.
Dans les conversations avec ma mère, le terme de dépression a été évoqué, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. J'en conclus que c'était une maladie qu'on attrape comme un rhume ou une mauvaise grippe. En tous cas, le dilemme est qu'il dit ne pas être malade, et qu'il n'a aucunement  besoin de se faire soigner.

Beaucoup de négociations se sont opérées pendant ses entrevues : concernant la maison et sa vente, (puisqu'il ne peut plus l'assumer seul), le partage des biens, les avocats, le divorce, le crédit de la voiture en cours, le compte commun. Chaque conversation était un défi à relever pour ma mère et chaque entrevue était un calvaire pour nous. Comme dans un mauvais film mélo-dramatique, il nous embrassait comme jamais il ne le fit auparavant, avec ses gros bras massifs et son odeur d'homme improvisé  célibataire. Son odeur renferme le tabac froid, la transpiration, et son linge devait être porté plusieurs jours avant qu'il ne pense à utiliser la machine à laver. Chacun de ses enlacements augmentait mon dégoût pour lui, ainsi que la honte de transformer le trottoir de devant chez mes grands parents en quai de gare, me prenait la gorge et le ventre. Mes joues couvertes de ses larmes pitoyables tant il me pleurait près de l'oreille : j'osais espérer à chaque fois qu'il s'inquiète de comment j'allais ou me sentais, mais il ne pleurait que sur son sort, ne parlant que de lui et de son infinie douleur de père et d'époux abandonné.

Je sentais ma mère faiblir par toute cette période de guerre froide. Négocier, discuter, biaiser. Il était redoutable.

    - Je comprends, Myriam, mais c'est difficile pour moi aussi.
    - Ce n'est pas moi qui ai fait en sorte que cela se déroule comme ça.
    - Je suis tout seul, Myriam...
    - Tu l'as voulu...
    - S'il te plait...
    - Exclure ta famille, tes enfants...
    - Retire-la...
    - Ta femme...
    - Retire ta plainte...
    - Pourquoi le ferai-je ?
    - J'ai peur...
    - Moi aussi...
    - Mon boulot... pour mon boulot... Je ne vais quand même pas perdre mon boulot !

    - ...
    - Myriam !

Ma mère. Quelques jours plus tard, retirera sa plainte contre lui.
Le long et vicieux cauchemar commence.

Bannirefestivalromans2


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