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Ghana : Vidah et la leçon de banku

Publié le 28 septembre 2012 par Busuainn_ezilebay @BusuaInn_Ezile

Ghana : Vidah et la leçon de banku

Photo : Andy Cosyn

Vidah travaille à Ezile bay  depuis plus de 6 ans. 
C'est une des plus ancienne de l'équipe.  
Elle parle surtout Ahanta, deux mots de français “Bonjour, ça va” et “merci” et fait des gros efforts en anglais. Malgré cette barrière technique-linguistique et au delà de celle-ci, nous nous comprenons assez bien, pour les affaires courantes d'Ezile. 
Elle travaille à son rythme, qui peut en étonner plus d'un, par son apparente lenteur mais tout dans la durée, lente mais constante Une vraie marathonienne du labeur au ralenti accompagnée d'une éfficacité sereine. 
Elle est toujours altière et élégante, telle une princesse de la brousse, même en maniant le balai et empoignant la brouette, avec des gestes d'une grande beauté et fluidité, quasiment comme une danseuse. Il faut la voir arriver le matin avec sa démarche si personnelle. Parfaitement tressée dès le lever du jour, sa coiffure élaborée protégée par un joli foulard. Elle est quelques fois parée de paillette, tissus damassés. Le dos toujours bien droit, c'est que Vidah a un port de reine.
Dernièrement, j'ai réorganisé le travail à Ezile, par pôle d'activité, avec un(e) responsable pour chaque fonction. Vidah en raison de son travail, de son ancienneté et sa manière de faire est devenue chef de la section jardin, ce qui est un sacré boulot vu que le terrain d'Ezile fait plus de 4 hectares... Et sans machine motorisée...
Le fait qu'une femme (1 mauvais point car au Ghana, il existe une très forte division sexuée des fonctions, par exemple un homme tailleur fera de la couture que pour les hommes...) n'ayant pas suivi de scolarité (2ème mauvais point) accède à un poste d'encadrement dans un secteur d'activité où l'homme exerce habituellement sa suprématie (sacré patriarcat va !) est un peu une opération de dynamitage des codes sociaux locaux et une faille dans la domination masculine régnante et étouffante qui empêche les femmes (surtout à la campagne) de vivre et respirer librement. Étouffées qu'elles sont par un couvercle social fondu à la testostérone et poncé aux conventions sociales prépondérantes et écrasantes (ça va souvent de pair), enferrées dans les poids (lourds) des traditions et croyances tous azimuts.
Vidah a accepté avec beaucoup d'émotion ses nouvelles fonctions dont elle s'acquitte parfaitement autant que sérieusement, tout en continuant à accomplir ses tâches habituelles, avec cette modestie attentive et souriante qui la caractérise.
Ghana : Vidah et la leçon de banku

Vidah est d'une grande polyvalence, en période d'intense activité et de fréquentation bouillonnante , elle peut laver le linge, aider en cuisine. En gastronomie nationale, ses deux grandes spécialités sont le banku  et le fufu que j'avais évoqué dans cet article
Dans ce cas, je l'appelle Madame Banku. Récemment, nous recevions un groupe de travail venu organisé une semaine de réflexion mise en commun de travaux. Ce groupe souhaitait déguster des plats ghanéens et avait demandé du banku.
Ce fut donc l'opportunité d'une leçon de banku. Et le banku, c'est pas ni de la junk food ni du fast food 
Ghana : Vidah et la leçon de banku

Ghana : Vidah et la leçon de banku

Après avoir réuni les ingrédients nécessaires, de la pâte de maïs et de manioc, elle alluma un petit barbecue (appelé dans les pays francophones foyers intégrés) pour faire chauffer de l'eau. 
Elle incorpora cette eau dans les deux pâtes. Il fallu tourner et écraser pour faire disparaître les grumeaux. L'étape suivante fut le tamisage et égouttage puis versa le tout dans l'eau devenue bouillante entre-temps.
Ghana : Vidah et la leçon de banku

Ghana : Vidah et la leçon de banku

Ghana : Vidah et la leçon de banku

 Et là, je comprends pourquoi la cuisine extérieure est adaptée, entre la chaleur du barbecue, l'humidité collante de la vapeur d'eau qui se mélange si bien au climat d'ici et qui à la faculté de le potentialiser... Un vrai sauna !
Elle s'empara alors d'une grosse cuillère en bois pour tourner la préparation qui, rapidement, pris une consistance épaisse voir même solide. Le “touillage' devint rapidement un tour (enfin, plusieurs) tours de force. Vidah toujours souriante et affairée était maintenant les 2 pieds appuyés sur deux branches, reposant sur la marmite, elle même en équilibre sur le feu. Du grand art.
Je vous laisse imaginer alors la “touffeur” de l'opération, on atteignait alors les 95% d'humidité dans l'air et les 35°c, rien qu'en levant le petit doigt, nous nous mettions à transpirer abondamment.
Ghana : Vidah et la leçon de banku

A la fin, elle façonna des boules. Les hôtes se sont régalés de ce banku accompagné d'une sauce poulet-gombo (bien pimentée comme il se doit).
A mon avis, le banku apporte moins de calorie qu'on en dépense pour sa réalisation. Il est parfait pour nombre de ghanéen dont la sensation de satiété et en corrélation avec la “lourdeur” du plat. Le nombre de fois où j'ai entendu : “c'était bon, c'était bien lourd”.
Pendant tout ce temps (40 boules de banku à réaliser, quand même), elle garda son rythme imperturbable et son sourire rayonnant et communicatif et mena à bien cette laborieuse opération (le hammam, c'est de la "gnognotte" !).
Bravo et merci à Vidah pour cette leçon de banku (et pas que...).


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