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"Barbe bleue" d'Amélie Nothomb

Publié le 29 septembre 2012 par Francisrichard @francisrichard

Depuis quelques années, à la fin de l'été, je guette l'arrivée du Nothomb nouveau, comme celle, le troisième jeudi de novembre, du beaujolais primeur à sa sortie du tonneau.

Le cru Nothomb de cette année est particulièrement délectable. Il faut dire qu'Amélie a puisé son inspiration à la source du Grand Siècle de Charles Perrault et qu'elle l'a accommodé aux saveurs du vingt et unième.

Don Elemirio Nibal y Milcar, 44 ans, est un grand d'Espagne qui vit dans un somptueux hôtel de maître du VIIe arrondissement de Paris dont il ne sort plus depuis 20 ans. Il est, de toute façon, insortable.

Don Elemirio mène grand train et n'exerce d'autre activité à plein temps que d'être digne, c'est-à-dire espagnol, catholique, rachetant ses péchés en versant des ducats à son confesseur. Il dispose d'une domesticité exlusivement masculine, un chauffeur pour conduire sa Bentley, dans laquelle il ne monte jamais, un secrétaire, Hilarion, et un homme de ménage, Mélaine:

"Je ne supporte pas l'idée qu'une tâche dégradante soit exercée par une femme." dit-il pour justifier cette mâle exclusivité.

Don Elemirio aime les femmes. Cet homme, le plus noble homme du monde, qu'il ne fréquente plus, les fait venir à lui. Pour les trouver il emploie un moyen sûr. Il met en colocation, par annonce, une grande pièce de ses appartements, à un prix défiant toute concurrence:

"La colocataire est la femme idéale. Enfin presque."

En 18 ans, il a eu huit colocataires, qui ont toutes disparues, sans laisser de traces, ce qui vaut au "maître de ces lieux" parisiens (Charles Perrault parlait de "maître du logis") une fâcheuse réputation. Cette réputation n'empêche pas les candidates (il n'y a jamais de candidats) de se presser encore à l'annonce d'une neuvième colocation.

Parmi les quinze femmes empressées cette fois-là, Sarturnine, qui enseigne à l'Ecole du Louvre, est l'élue de Don Elemirio. Elle est certes jolie, mais c'est surtout la plus jeune, 25 ans. Sans beaucoup d'hésitation elle quitte le 25 m2 de son amie Corinne, sis à Marne-la-Vallée, tout proche d'Eurodysney où cette dernière travaille. Il n'y a pas de comparaison entre l'inconfort d'un canapé en banlieue et "l'extraordinaire confort du lit" de ces lieux.

Une seule pièce est interdite à la colocataire, la chambre noire (dans le conte éponyme de Perrault c'était un cabinet), car l'hôte est photographe, très occasionnel:

"Si vous y pénétriez, je le saurais et il vous en cuirait."

En fait Saturnine - qui succède à Emeline, Proserpine, Séverine, Incarnadine, Térébenthine, Mélusine, Albumine, Digitaline - n'est pas curieuse. Elle est différente des colocataires précédentes. Don Elemerio, qui tombe tout de suite amoureux d'elle et qui a pourtant un physique quelconque, lui dit au bout de quelque temps:

"Toutes mes colocataires se sont éprises de moi en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, sauf vous. Parfois je me demande si ce n'est pas parce que vous êtes belge."

Toute allusion malicieuse à la nationalité de l'auteur serait purement fortuite...

Amélie Nothomb est tellement imprégnée de l'univers de Charles Perrault qu'elle fait de sa Barbe bleue, par ailleurs excellent cuisinier, un couturier hors pair, confectionnant des robes "couleur du temps" pour ses colocataires, comme celles portées par Peau d'Ane.

Ce conte, dont je laisse au lecteur le soin de découvrir le déroulement et la fin, est très agréable à lire, d'autant plus qu'il est émaillé de dialogues brillants entre Don Elemirio et Saturnine, qui valent leur pesant d'or - c'est le cas de le dire - tous deux ayant un sens réel de la répartie.

Avec Amélie Nothomb, Espagne finit par rimer avec champagne, que le couple de protagonistes boit d'ailleurs avec délectation dans des flûtes de cristal de Tolède. Car son récit pétille littéralement, comme la version fluide de l'or qu'est ce breuvage divin.

Francis Richard

Barbe bleue, Amélie Nothomb, 180 pages, Albin Michel ici 


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