Léo Perutz est né à Prague en 1882. Il quitte la Bohème à l'âge de 17 ans pour Vienne où il étudie les mathématiques et la littérature. Il s'intéresse à la théorie des jeux de hasard et commence par travailler dans une compagnie d'assurances. Il est appelé au combat pendant la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il est blessé. De retour à Vienne, il publie son premier ouvrage et entreprend de nombreux voyages. C'est en 1918 que paraît Le Tour du cadran, son troisième roman. Il quitte l'Autriche pour la Palestine en 1938, au moment de l'Anschluss. Léo Perutz meurt en 1957.
Le personnage principal, Stanislas Demba, est un étudiant viennois désargenté. Après avoir volé trois livres à la bibliothèque pour écrire un article, il décide de les revendre pour éponger ses dettes mais lors de la vente du troisième, le brocanteur suspicieux, appelle la police et Demba échappe de peu aux policiers en se jetant par une fenêtre après que ceux-ci lui aient déjà passé les menottes. Pendant tout le roman qui s’étale sur une petite journée, Stanislas Demba erre dans Vienne, engoncé dans une longue pèlerine, pour chercher secours et argent. Mais il n’est pas si simple de circuler en ville et passer inaperçu quand on a les deux mains liées par des bracelets en acier. Les situations grotesques parfois, drôles le plus souvent et même dramatiques se succèdent à un rythme effréné.
Il faut aussi reconnaître que le pauvre Stanislas n’y met guère du sien. Solitaire et d’un caractère plutôt introverti, il s’est entiché de Sonia et s’imagine que sa passion est partagée, d’où des crises aigues de jalousie. Durant toute cette journée de cauchemar, il s’entêtera a réunir une somme d’argent lui permettant d’emmener sa belle en voyage pour la soustraire à un rival, prioritairement à se débarrasser de ses menottes.
Un excellent roman qui n’est heureusement pas gâché par cette incompréhensible décision de l’éditeur, indiquer au lecteur sur la quatrième de couverture que le héros a les mains entravées par des menottes, alors que Leo Perutz lui, se garde bien de rien nous en dire avant le chapitre huit et une petite centaine de pages ! Vous n’aurez donc pas le plaisir de découvrir cet intrigant aspect de la personnalité de Stanislas Demba tel que le souhaitait l’auteur. C’est bien dommage, de mon point de vue, mais pourtant malgré ce qui pourrait être un handicap énorme, le roman reste magistral. Autant par son intrigue (et je ne vous parle pas de la chute ! (sic !)) que par son écriture au rythme enlevé, pleine d’humour et de modernité.
Certains critiques on vu du Kafka dans ce Perutz, certes il y a là aussi le poids de la fatalité qui s’acharne sur cet homme banal et qui le pousse à des actes insensés, mais en plus amusant que chez l’autre. Notez par ailleurs qu’Alfred Hitchcock avait beaucoup apprécié ce roman. Alors ruez-vous sur ce superbe ouvrage, qui plus est paru dans une collection de poche très élégante et au prix modeste.
« Il s’était attendu à ce que son adversaire, en le voyant, se montrât confus, abasourdi, consterné, totalement déconcerté. Mais au moment où il se retrouva face à lui, il vit que son visage avait pris une étrange expression. Ce n’était ni la peur, ni la honte qui se lisait dans les traits de M. Skuludis, mais une surprise, une stupéfaction sans égale, sans nom. Il regarda Demba, bouche bée, et de sa main droite tendue, aussi hiératique qu’une statue d’Apollon, il désigna, comme frappé de stupeur, les mains de Demba. Les mains ! Les mains ! »
Leo Perutz Le Tour du cadran Christian Bourgois collection Titres