En Californie, certains cadres supérieurs de Google, Yahoo ou Apple choisissent d'envoyer leurs enfants dans une école déconnectée Waldorf, qui exclut de son enseignement l'usage des technologies. Le New York Times s'est intéressé à cette classe où les enfants ont de saines activités.
Les enfants y cultivent des piments dans des pots plein d'humus qui sent l'authentique sous-bois de Palo Alto. On fait de la poterie avec des colombins de vraie boue qui colle aux doigts. On dessine avec des crayons qui se taillent en pointe et en fines dentelles de bois. On lit des livres sur des tablettes bizarres, en carton avec dedans des feuilles en papier qui se tournent en faisant «Schlip», même quand on ne met pas le son. On écrit au tableau vert avec des craies en plâtre véritable.
Les parents cadres des entreprises de la Silicon Valley se déculpabilisent ainsi de créer des applications addictives pour le reste de la planète en mettant leurs mioches derrière des bureaux en épicéa et pas devant un finder. Et les résultats sont excellents. Evidemment, vu le niveau d'études et de revenus de papa-maman… Peu de chance qu'on les retrouve à dealer du cannabis poussé dans la serre de la classe et à régler les conflits de récré à la Kalachnikov.
Précisons toutefois que cette école (qui a pourtant un site internet, comprenne qui pourra...) fait partie du réseau Waldorf, basée sur la méthode Steiner (ci-contre). Lequel n'avait pas attendu l'émergence du web et les angoisses de geeks chefs de famille pour proposer une pédagogie alternative passionnante. Pédagogie dont devrait s'inspirer notre Education Nationale, où les profs, soutenus par les parents, s'obstinent à bourrer le crâne et le sac de nos chères têtes blondes. Et à les faire sortir le soir à des heures indues, avec 10kg sur le dos, quand les élèves anglo-saxons sortent à 15h, font du sport, de la musique et des activités artistiques (où ils sont aussi bons voire meilleurs que nous, soit dit en passant)…. Et laissent livres et devoirs au casier.
En France, se déconnecter d'internet ne passe pas encore par l'école. Mais c'est quand même du dernier hype. L'étude menée par Havas Media, "La France des déconnectés", présentée le 25 septembre 2012 par Dominique Delport, a ainsi identifié les déconnectés volontaires, parmi la population des plus de 15 ans.
- 3,7% sont des “Déconnectés 2.0”. Des gens aisés, diplômés, saturés en matériel techno.
- 4% sont des “minitélistes”, personnes âgées qui se sentent dépassés et qui laissent l'écran de leur vieux Dell prendre la poussière sur le buffet.
- 7,2% de“flippés” qui prennent le prétexte provisoire de la résiliation de leur abonnement Orange pour offrir un répit à leur névrose obsessionnelle.
Il faut bien distinguer tout ce beau monde des exclus, déconnectés involontaires (3,4% de la population), qui n'ont pas les moyens de se payer un accès internet.
Nos déconnectés 2.0, c'est le haut du panier. Du coup, ils ont la déconnexion bruyante. Quand Cyrille de Lesteyrie, alias Vinvin, avait passé 8 jours chez les moines de l'abbaye de Sept-Fons, pour se désenvouter du web, le récit de son exorcisme numérique faisait six pages dans le Clés d'avril 2012. Quand Thierry Crouzet a publié son livre-choc "J'ai débranché", il nous en a tweeté la promo des semaines durant. Ils ne font pas que poser un geste, ils tapent bruyamment sur la table. Ils trépignent dessus. ils veulent que ça se sache, qu'on s'imprègne bien de la pureté de leur démarche, qu'on les aime, qu'on les suive. Mais pas trop nombreux, entre nous, entre gens du même monde. Pas question de rallier les pue-la-sueur du métro ou de la fête de la Musique.
Et ils coupent le cordon Ethernet avec une raison imparable. «Retrouver la vraie vie ! ». Voilà ce qu'ils proclament, juchés sur des casiers à bouteille de leur caviste et hurlant dans des entonnoirs en zinc de chez Nature et Découvertes®. Hmmm, prendre enfin le temps de boire un verre avec les potes sans le poster sur Instagram. De lire un magazine avec des pages cornées et des sudokus gribouillés, et pas sur son Kindle. De courir au Luxembourg sans se self-quantifier la foulée (mais avec un iPod, hein, y a des limites à la vulgarité…).
Ils ont raison, c'était si beau, avant. Ah ! Le goût du pain pétri à la main par un mitron payé à coup de pied au cul. Le parfum de la madeleine cuite par la gouvernante. Le café en grain –pas en pas en dosette Nespresso– récolté par les ouvriers stressés sous l'œil de lynx du gringo de Jacques Vabre.
Cette espèce de quête de l'état de nature, celui d'avant internet, ça ne date pas d'hier. Mais allez savoir où il faut remonter pour se retrouver dans la vraie vie véritable estampillée éco-durable ? Avant le premier iPhone ou avant le Déluge ? En réalité, plus proche de Steve Jobs que de Noë et ses bestioles : en tout cas, pas avant le mail ou Google Maps, les deux usages qui restent majoritaires chez nos 2.0, tout déconnectés choupinous tendance qu'ils soient.