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Persistance rétinienne

Publié le 03 octobre 2012 par Elosya @elosyaviavia

Persistance rétinienne

Je rentrais du boulot, tard.

J’étais ravie à l’idée de retrouver mon chez moi, mon chéri, le chat. Je prévoyais déjà de me faire chauffer un petit chocolat chaud ou de manger une petite friandise s’il en restait.

Je suis arrivée sur le quai et voyant que mon métro n’arrivait pas tout de suite, je me suis assise.

Je n’ai pas sorti mon livre ou mon lecteur MP3, j’ai préféré me perdre dans mes pensées.

Je regarde autour de moi et observe discrètement les personnes sur le quai. Deux gars qui transportent des cartons de vêtements sur un gros chariot. Un mec qui envoie des messages sur son portable. Un autre qui téléphone. C’est alors qu’une femme apparaît. La quarantaine. Elle a plutôt belle allure avec sa sacoche à bandoulière en cuir, son court manteau, son jean bien coupé et sa coiffure faite de deux grandes tresses entourant de beaux cheveux blonds.

Intriguée, je la regarde du coin de l’œil. Elle marche sur le bord du quai, vraiment au bord et je redoute par instant qu’un mauvais pas ne la fasse tomber sur les rails du métro. En même temps, je vois qu’elle adopte une démarche affirmée et qu’elle semble savoir où elle met les pieds. Quand elle s’arrête, elle a une posture droite et regarde devant elle ou plutôt j’ai l’impression qu’elle essaie de garder cette position rigide, mais les regards rapides qu’elle jette aux autres voyageurs et une certaine nervosité qui émane d’elle, me laissent penser qu’elle n’est pas si en confiance que ça.

Le métro arrive, je rentre par une porte et elle par une autre plus en amont de la rame. Je m’assois et sors mon livre. Je vois une silhouette qui bouge un peu plus loin, c’est elle qui remonte la rame. Elle marche les yeux baissés. Je ne fais plus attention à elle jusqu’au moment où je relève la tête et nos regards se croisent. Vite, nous rebaissons la tête rapidement.

Je me sens gênée. Dans son regard, j’ai vu la tristesse. Et la peur aussi. Je me demande bien ce qu’elle a surpris dans mes yeux. De l’étonnement, de la gêne ou peut-être a-t’elle projetée autre chose, je ne sais pas ? Elle s’arrête à la hauteur de mon siège et se met à parler d’une voix faible : bonjour mesdames, messieurs, je suis une maman de deux enfants et cela fait 48 heures que j’ai fui le domicile conjugal suite aux coups d’un mari violent, ce soir il me manque un peu d’argent pour payer une chambre d’hôtel, je passe parmi vous afin de récolter quelques pièces. Je vous remercie.

Je comprends. L’angoisse lue dans ses yeux, la marche les yeux baissés, sa manière borderline de marcher le long du quai. Alors je cherche mon porte monnaie, je voudrais lui donner quelque chose, une petite pièce, mais je ne le retrouve pas. La station d’après arrive déjà, je la vois descendre et partir la tête baissée.

Le reste du trajet, je n’arrive pas à m’ôter de l’esprit son regard bleu qui a plongé dans le mien.Je repense aussi à sa manière de marcher si près du bord et je ne me détache pas de l’idée que peut-être qu’elle avait envie de sauter sur les rails.

Alors, je me dis; enfin j’espère qu’un jour, le métro ne sera plus cet endroit où elle a fini par demander de l’argent à des inconnus, mais qu’il redeviendra un lieu bruyant et anodin. J’espère aussi qu’elle n’aura plus ce besoin irrépressible de s’approcher si près du bord, que le gouffre métallique et électrique des rails ne l’attirera plus et qu’elle restera avec nous, sur le quai en attendant qu’une nouvelle rame l’amène vers d’autres instants plus heureux.


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