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Dans la presse déchaînée n°2

Publié le 03 octobre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Deuxième volet de notre rubrique consacrée à la presse écrite : profitons-en tant que celle-ci n’a pas encore été assassinée par le dictat du numérique…

Dans la presse déchaînée n°2
Libération n°9763 du 1/10/2012 : Je voudrais aujourd’hui rendre un hommage mérité à un grand monsieur du dessin de presse, dont l’immense talent et le regard acéré illuminent chaque jour les pages d’un grand quotidien français… Quoi ? Non, je ne parle pas du vieux barbon moralisateur qui vient de fêter ses quarante années passées à dessiner ses colombes cucul-la-praline et ses souris aux mains sur les hanches : je vous parle d’un véritable artiste dont la discrétion n’a d’égal que l’incommensurable génie, Willem. Résumer l’actualité de la journée en un dessin, c’est un exercice extrêmement casse-gueule (ce qui donne des circonstances atténuantes à Plantu) et on a vite fait de sombrer dans le symbolisme niais ; rien de tout ça avec Willem, ce grand artiste qui nous vient de Hollande et qui, chaque jour, dans Libération, met son trait implacable au service de la dérision. Le fait qu’on parle si peu de lui donne hélas raison à ce que son ami Siné dit des Français : « il n’y a que la médiocrité et le kitsch qui trouvent grâce à leurs yeux chassieux ».

Pour vous donner une idée, je vous décris son dessin de lundi dernier : une foule de manifestants, ceux qui ont défilé dimanche contre le traité scélérat que Jean-Marc Ayrault a présenté hier à l’Assemblée, assaille une voiture au point de la retourner, et de cette voiture sort le dialogue suivant : « Expliquez à ces gens qu’ils coûtent trop cher. – Oui monsieur. » On comprend alors sans peine que les occupants de cette voiture sont un gros capitaliste, ou un ministre, ou un élu, ou un eurocrate, en tout cas un puissant, et son larbin ; Willem résume admirablement la situation actuelle. Le larbin, à mes yeux, n’est pas nécessairement un obscur domestique : il s’appelle peut-être François-Régis Hutin, Jean-Michel Apathie, Étienne Mougeotte, Joseph Macé-Scarron, Alain Minc… Bref, pour que l’un des puissants qui vivent sans avoir la moindre idée de ce que représente la vie du français moyen lui demande d’expliquer aux pauvres cons que nous sommes ce qui est bon pour eux, le loufiat peut très bien être l’un ou l’autre des « nouveaux chiens de garde » dénoncés dans le film du même nom, ces suppôts lettrés de la bourgeoisie qui n’ont peut-être jamais ouvert un bouquin d’économie, ne font valoir aucune autre compétence que celle de leur surexposition médiatique et cherchent à nous faire rentrer dans le crâne que nous sommes des enfants gâtés et que pour pouvoir prétendre à un tu l’auras, il faudra désormais se priver de deux bon tiens… Willem, à cet égard, est l’anti-chien de garde : il n’est pas un simple relais de la propagande capitaliste, il ne puise pas ses idées de dessins sous les lambris dorés ni pendant les cocktails mondains mais dans la sève de la vie, dans le cambouis de la misère humaine, attitude qu’il sauvegarde par sa légendaire discrétion, garante d’une incorruptibilité et d’une lucidité exemplaires ; en tant qu’homme, il est avare de mots et ne parle que pour sortir des répliques cinglantes : il fait de même en tant que dessinateur, allant directement à l’essentiel, sans fioriture, au point que son commentaire nous fouette le visage mille fois plus efficacement que n’importe quel beau discours.

Dans la presse déchaînée n°2

Dans le cas présent, Willem a le génie de ramener la question du pacte budgétaire européen à sa vérité première, celle d’un instrument de la lutte des classes, lutte que la bourgeoisie, fidèle à elle-même, cherche à nier par tous les moyens pour mieux la mener sans que le peuple ne se sente dans l’obligation d’être sur la défensive – j’insiste bien sur cet aspect car il y a tout de même quelque chose que le dessin de Willem ne dit pas : ceux qui sont allés manifester dimanche dernier ne représentent pas la moitié du corps électoral français. Non pas qu’ils soient illégitimes, au contraire, les études d’opinion sérieuses et le référendum de 2005 ont montré qu’ils défendaient des idées partagées par la majorité de la population. Seulement voilà : cette majorité reste le plus souvent silencieuse et laisse les puissants choisir pour elle ; les manifestants de dimanche dernier font pour ainsi dire figure au sein du peuple d’élite intellectuelle ! Qu’est-ce que l’austérité que l’on cherche à nous imposer ? Je vous explique : l’État gaspille chaque année des sommes d’argents scandaleuses dans de grands travaux inutiles, des dépenses somptuaires, des subventions aux pollueurs, des budgets démentiels pour l’armée et la police, des cadeaux aux grands patrons, lesquels n’investissent pas dans l’économie du pays mais jouent au casino avec les richesses produites par les travailleurs, et c’est à ces derniers que l’on va faire rembourser la dette ainsi contractée, dont les intérêts n’en finissent pas de grimper parce qu’on a eu l’idée géniale d’emprunter aux marchés financiers fluctuants plutôt qu’aux banques centrales, et on fait passer la pilule au peuple en lui faisant croire que les gaspillages, c’est ce qu’il a fallu dépenser pour lui permettre de vivre décemment…

C’est injuste et c’est vraiment crétin : non seulement c’est prendre l’argent là où il n’est pas mais en plus, l’austérité, c’est toujours autant d’argent dont le peuple ne verra plus jamais la couleur, c’est donc aussi autant de consommation en moins et autant de chances en moins de relancer l’économie d’un pays, donc pas de dynamique de croissance et pas plus d’emplois, donc toujours plus de nécessité d’emprunter, donc dette et intérêts qui gonflent… Toi y en a compris ? Avouez qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une chaire d’économie pour comprendre ça ! Bien sûr, peu de gens au sein du peuple ne veulent de ça, mais ils sont encore moins nombreux à faire savoir qu’ils n’en veulent pas : on reproche au traité budgétaire européen de ne pas refléter l’avis du peuple, j’ai bien peur qu’il reflète assez bien son véritable avis à savoir : on n’est pas d’accord, mais on laisse faire quand même… J’exagère ? Si le bon peuple de France avait à ce point envie de lutter efficacement contre la fatalité de la rigueur budgétaire, on aurait eu un second tour Mélenchon-Poutou en mai dernier… Willem, dans son dessin, ne fait pas que dénoncer l’hypocrisie du discours des défenseurs du traité : il glorifie aussi ceux qui ont le courage de s’y opposer, il a bien raison. Longue vie à Willem ! Allez, salut les poteaux !

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