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Homme nouveau, arrache-nous de nous-mêmes

Publié le 04 octobre 2012 par Copeau @Contrepoints

La crise financière devient peu à peu la crise de la mentalité occidentale, où la recherche raisonnée des bons mécanismes est remplacée par le besoin brutal de basculer la société dans un nouvel ordre purifié et abstrait.
Par Aurélien Biteau.

Homme nouveau, arrache-nous de nous-mêmes

La crise financière de 2008 a été révélatrice de l’état d’esprit d’une bonne partie de la population du monde occidental. « Triomphe de la cupidité », la crise aurait été le pur produit du vice des hommes : le capitalisme, parce qu’il est accumulation de capital, encouragerait les êtres vicieux, cupides, égoïstes, presque psychopathes et incapables de ressentir de l’empathie, et il en sortirait une classe issue de l’Enfer, à savoir celles des hommes d’affaires.

Dans cette logique, ce qui explique la crise, ce ne sont pas les tentatives lamentables de passer outre les lois économiques de l’action humaine, mais simplement le vice. Voulez-vous la prospérité ? Éradiquez le vice, ne le laissez plus s’exprimer. Pour cela, il faudra bien sûr s’en prendre aux êtres vicieux, qu’on reconnaîtra, entre autres, par l’activité qui est la leur : homme d’affaires, tu es fait.

Malheureusement, la réalité est moins simpliste, et il est évident que le vice ne se restreint pas à une catégorie de personnes, de même que la vertu a le bonheur d’être répandue dans toute la population. Eh oui, les qualités et les défauts de l’homme concernent sa nature, et chacun de nous est à la fois vice et vertu.

Comme l’explique très bien Vincent Bénard dans son article Pourquoi le libéralisme est la solution à crise financière, ce qu’il importe de comprendre dans la crise, ce n’est pas l’ensemble des vices humains, mais les mécanismes qui ont avantagé le vice au dépens de la vertu. Yves Guyot montrait déjà en 1896, dans la Morale de la concurrence que la concurrence réelle et bien comprise se présentait comme un ressort moral de premier plan pour l’humanité.

Cependant, ce qu’il est intéressant de relever dans la perception de la crise restreinte seulement au vice en lui-même, c’est un état d’esprit, une mentalité partagée dans le monde occidental et dont les conséquences pourraient être, voire seront ou sont déjà, graves.

En effet, ce qu’implique cette perception, c’est que le vice n’est pas nécessaire, c’est-à-dire qu’il pourrait ne pas exister. Il serait même nécessaire que le vice ne soit plus, afin que la prospérité soit permise.

Première conséquence : dans cette optique, l’idée première qui surgit, c’est qu’il faut arracher le vice de l’humanité. Arracher littéralement. Il faut extraire de l’âme humaine le vice. Et puisque cela est une chose bien compliquée, on s’attaquera directement à la personne humaine dans son entier.

Quoi de mieux pour cela que d’utiliser le plus grand des pouvoirs, celui des États et des législateurs : la loi, plutôt que de permettre l’existence du droit, devient l’outil inquisiteur, tandis que la politique, plutôt que de chercher les mécanismes raisonnables qui permettent la bonne tenue de la société (droit et libre marché), se pose en « constructeur » de la vertu. La vertu de chacun n’est plus à canaliser via les règles de droit, elle est à bâtir : l’ordre vertueux, ce n’est plus l’ordre spontané qui favorise l’expression de la vertu de chacun, c’est l’ordre construit par les lois punitives réglant chaque aspect de la vie – parce que le vice peut se glisser dans chacun de ces aspects.

Les pulsions totalitaires habitent de fait ceux qui entendent utiliser la loi et la force pour corriger cette âme humaine définitivement mal faite par la nature, et il est assez aisé de constater ces pulsions chez de nombreux progressistes. Un peuple pris de pulsions totalitaires en période de crise, voilà qui n’est que peu rassurant pour l’avenir.

Deuxième conséquence : la vertu ne pouvant être responsable de la production du vice, une fois le vice anéanti, la vertu doit régner éternellement. L’ordre vertueux construit par les lois et la politique est un horizon indépassable. Il est à la fin de l’histoire et rien après ne peut être. Voilà l’homme nouveau, et avec lui la prospérité : nous avons affaire là à un millénarisme.

Ce millénarisme exprimé par une bonne partie de la population occidentale n’est pas véritablement structuré, organisé, contrairement à ce qu’ont pu être les idéologies communistes ou nazies : davantage qu’une philosophie, il est un état d’esprit, un état psychologique, ce qui le rend plus dangereux encore, car il se présente de lui-même à l’esprit comme indépassable.

Or, il est difficile de concevoir qu’un tel état d’esprit « adolescent » répandu dans une population puisse permettre à celle-ci de gérer avec clairvoyance les crises. Il faut véritablement craindre le nihilisme qui frappe la mentalité occidentale et qui plutôt que de pousser à construire, pourrait favoriser la destruction.

Le millénarisme ne fait pas confiance à la réalité, à sa nature, à ce qui est : la réalité est mauvaise et il faut donc établir et fixer l’ordre juste. Or courir après des chimères n’est pas fonctionnel, et au contraire, s’avère véritablement destructeur. Pensez à la plupart des révolutions, révolution française en tête, et des bains de sang et des pertes qui en furent le désastreux produit.

Pour sortir de la crise, une grande partie de la population désire des États l’élaboration progressive d’un homme nouveau, débarrassé de ses vices. La crise financière devient peu à peu la crise de la mentalité occidentale, où la recherche raisonnée des bons mécanismes est peu à peu remplacée par le besoin brutal de basculer la société dans un nouvel ordre purifié et abstrait.

Malheureusement, l’esprit nihiliste d’une société « adolescente » ne permet pas la sortie de la crise : il la prolonge.


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