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Négociation fiscale : comment les "Pigeons" se sont tirés une balle dans l'aile

Publié le 06 octobre 2012 par Copeau @Contrepoints

Les "Pigeons" entrepreneurs ont suscité beaucoup de sympathie grâce aux réseaux sociaux. Ils n’ont pas su gérer ce capital pour obtenir un vrai recul du gouvernement. Un ex-syndicaliste passé du bon côté de la force analyse la principale erreur tactique du mouvement des #Geonpi.
Par Vincent Bénard.

Négociation fiscale comment

Suite à l’annonce de l’hypertaxation confiscatoire des plus-values sur la revente de parts d’entreprises, une contestation d’entrepreneurs et de sympathisants s’est mobilisée sur les réseaux sociaux, drainant plus de 48 000 fans Facebook en 5 jours, et annonçant une manifestation d’envergure dimanche 7 octobre devant l’assemblée nationale. Ils se sont baptisés eux mêmes les "pigeons", synonymes à la fois de dupes, mais aussi d’envol toujours possible vers des cieux fiscalement moins répressifs. Leur hashtag de ralliement sur Twitter: #Geonpi.

Après un début en fanfare, une grosse erreur tactique

Les #Geonpi sont "le" phénomène médiatique de la rentrée budgétaire. Aussi la présidence, qui perdrait la face si une manifestation d’ampleur des entrepreneurs venait à réussir, attirant l’attention des médias et des français sur son incompréhension des réalités économiques, a-t-elle annoncé ce mercredi quelques concessions purement cosmétiques et l’ouverture de pourparlers.

Et là, grosse erreur tactique de nos Geonpi : ils ont immédiatement appelé à annuler la manifestation de dimanche, pensant avoir "fait le plus dur", c’est-à-dire obligé le gouvernement à les écouter. À mon sens, c’est une grave erreur.

Les #Geonpi sont plein d'enthousiasme, et leur mouvement spontané était non seulement légitime mais indispensable, et porteur d'espoir. Mais ce sont des entrepreneurs, pas des syndicalistes madrés. Ils ne connaissent pas le caractère retors des politiciens, des cabinets ministériels qui les conseillent, et leur mépris pour l'entreprise privée en général, quand bien même il y a quelques brillantes mais trop rares exceptions.

Mémoires

Moi, si. Avant de virer ultra méchant ultra-libéral, je fus... syndicaliste dans la fonction publique d’État, délégué régional d'un syndicat d'ingénieurs publics rattaché à Force Ouvrière. Je sais, cela surprend (et c’est terminé depuis longtemps !). Cela s’est passé aux début des années 90. Ma conversion libérale n’a commencé "que" depuis 1996.

Dans un syndicat d’ingénieurs, ce n’est pas la matière grise qui manque, et le processus de promotion de ceux qui parviendront aux échelons supérieurs du syndicat sélectionne des maîtres tacticiens, à défaut de toujours mettre cette maîtrise au service d’idées modernes...

Eh bien jamais, jamais nos leaders syndicaux n'auraient annoncé l'abandon d'une manifestation sur la simple promesse de pourparlers et en échange de vagues aménagements du texte de loi très éloignés des objectifs poursuivis, à savoir le retour de la taxation des plus-values à un niveau comparable à celui des voisins européens comme l’Allemagne ou la Grande Bretagne, sans même parler de la Belgique. Ils n’auraient, au mieux, suspendu la manifestation que la veille ou l’avant veille, contre des promesses écrites bien plus substantielles. Et plus vraisemblablement, le gouvernement aurait commencé par résister, et la manifestation aurait été maintenue. Après quoi, les rapports de forces étant établis, les pigeons auraient pu rentrer dans la mêlée des négociations avec une bonne marge de manœuvre.

La taquetiquetique...

Les pigeons viennent de laisser tomber leur meilleure carte en annonçant trop vite l'abandon de cette manifestation. Quand mon ancien syndicat manœuvrait pour des augmentations de salaires (nous disions: "pour améliorer notre statut", c’est plus politiquement correct), nous maintenions souvent, même lorsque les premiers pourparlers avaient eu lieu, des journées de grève, pardon, "d’action" (quelle ironie !) atteignant 60% de participation, ce qui contraignait le ministère... et ses correspondants de Bercy, à considérer les risques qu’une démobilisation de l’encadrement portait en germe pour la mise en œuvre des politiques décidées par le gouvernement. En dessous de 50%, nous étions considérés comme faibles et traités comme moins que rien par les énarques qui conseillaient les ministres.

Les #Geonpi avaient une arme de premier plan à leur disposition : la dissuasion médiatique. Comme je l’ai dit en début d’article, une manifestation réussie (et l’enthousiasme suscité par la démarche des Pigeons laissait croire qu’elle aurait pu l’être) aurait eu sur les Français et les médias mainstream un impact qui aurait pu être très négatif sur l’image de l’action gouvernementale sur le grand public. Et cela, tout gouvernement le déteste.

Mais depuis que les Pigeons ont annoncé l’arrêt de la manifestation, déjà, le discours de Moscovici se fait moins conciliant. On entend déjà que "le principe de l’alignement des plus-values du capital sur le travail" ne sera pas touché, et que seuls des dispositifs d’exonérations partielles plus incompréhensibles que rassurants pourraient être "aménagés", que la durée de possession fixée à 12 ans pourrait être légèrement réduite. Ou alors que les "créateurs" pourraient être exonérés mais pas les "investisseurs", ce qui reviendrait à "défiscaliser le vélo mais à charger les roulettes", selon l’animateur de BFM Stéphane Soumier, qui résume parfaitement l’ineptie d’un tel amendement... Bref, de la pommade pour atténuer la douleur, mais pas un arrêt de l'agression perpétuelle des politiques contre l’entreprise dans ce pays. On se reportera à l’analyse du créateur d’entreprises Marc Schillaci pour bien comprendre les dégâts de la politique gouvernementale.

Fausses concessions, vrai pigeonnage

Suprême habileté du gouvernement : celui-ci feint d’admettre (avec la complicité de sa presse de gauche subventionnée) que les maigres concessions sont pour lui comme une demi-défaite, histoire de bien faire passer le message suivant : "ne demandez pas plus, on ne pourra pas vous l’accorder". C’est un vieux truc de négociateur public face aux syndicats : toujours avoir l’air de subir la moindre concession aussi durement que l’ablation d’une jambe, de façon à ce que le syndicat puisse se prévaloir d’un “grand succès de la mobilisation” sans perdre la face... et que les adhérents se démobilisent.

Certains avancent que les Geonpi n’avaient pas la "surface financière" pour assumer l’organisation d’une manifestation, dont les éventuelles dérives engagent les organisateurs. L’argument est mauvais, devant le succès du mouvement, la CGPME ou le MEDEF auraient sans difficulté joué le rôle d’assureur. D’ailleurs, la CGPME va assister les pigeons dans leurs tractations et c’est heureux, car sinon, ils se feront "bouffer tout cru" par des hauts fonctionnaires de Cabinet qui ont l'habitude de gérer des gros cégétistes et des vilains ingénieurs syndicats parfois bien plus durs que des ingénieurs FO, et qui, de ce fait, ne reconnaissent que le rapport de force brut et les bénéfices ou déficits politiques qu’ils peuvent tirer de leurs décisions. Espérons que je me trompe et que cette erreur tactique ne portera pas un préjudice trop lourd aux Geonpi. Mais les premières annonces de presse me rendent pessimiste.

Des "dissidents", déjà, parlent de maintenir la manifestation du 7 octobre. Mais du fait des annonces contradictoires et de la désunion qu’elles suggèrent, l’impact risque d’être moindre. Dommage.

Du professionnalisme pour faire fructifier l’enthousiasme

N’en voulons pas aux Pigeons. On ne peut pas être bon partout, et la prise de risque dans des entreprises naissantes ne vous prépare pas à affronter dans l’arène politique des vieux ronds de cuir sans états d’âme ni scrupules. Mais la leçon qu’il faut tirer de ce mouvement est claire : si les réseaux sociaux peuvent, dans un élan de révolte, fédérer des mécontentements vite et massivement, les organisateurs de ces happenings numériques devront travailler avec des négociateurs professionnels pour transformer ces succès d’estime en succès tout court.

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