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Jean de LA FONTAINE : Le Mari, la Femme, et le Voleur

Par Unpeudetao

   Un Mari fort amoureux,
   Fort amoureux de sa Femme,
Bien qu’il fût jouissant, se croyait malheureux.
   Jamais œillade de la Dame,
   Propos flatteur et gracieux,
   Mot d’amitié, ni doux sourire,
   Déifiant le pauvre Sire,
N’avaient fait soupçonner qu’il fût vraiment chéri.
   Je le crois, c’était un mari.
   Il ne tint point à l’hyménée
   Que content de sa destinée
   Il n’en remerciât les Dieux ;
   Mais quoi ? Si l’amour n’assaisonne
   Les plaisirs que l’hymen nous donne,
   Je ne vois pas qu’on en soit mieux.
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n’ayant caressé son Mari de sa vie,
Il en faisait sa plainte une nuit. Un Voleur
   Interrompit la doléance.
   La pauvre femme eut si grand’peur
   Qu’elle chercha quelque assurance
   Entre les bras de son Époux.
Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux
Me serait inconnu. Prends donc en récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance ;
Prends le logis aussi. Les voleurs ne sont pas
   Gens honteux, ni fort délicats :
Celui-ci fit sa main. J’infère de ce conte
   Que la plus forte passion
C’est la peur : elle fait vaincre l’aversion,
Et l’amour quelquefois ; quelquefois il la dompte ;
   J’en ai pour preuve cet amant
Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame,
   L’emportant à travers la flamme.
   J’aime assez cet emportement ;
Le conte m’en a plu toujours infiniment :
   Il est bien d’une âme Espagnole,
   Et plus grande encore que folle.

Jean de LA FONTAINE (1621-1695).

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