De ma paisible retraite dans mon humble demeure à la Petite-Ile (un ancien hôpital pour engagés indiens, rénové par CBO Territoria TM), j'observe les virevoltes du monde, au centre duquel est plantée mon île lointaine. Malgré mon grand âge et la maladie qui me ronge, je reste un ancien ingénieur des usines à cannes, et je me tiens au courant. J'ai maîtrisé les sorcelleries de la TSF, et les gazettes m'apportent les nouvelles que mes vieux yeux peuvent déchiffrer.
Ma nénène Rosalie m'a également appris à apprivoiser le téléviseur, cet engin magique, qui me désarçonne quelque peu, car j'ai du mal à capter l'ORTF (sans doute est-ce dû à la hauteur de mon habitation). Mais foin de digressions : j'ai appris, grâce à ces diffrérents moyens de voir le monde, que les planteurs étaient mécontents de la manière de mesurer la richesse de la canne -je suppose qu'ils voulaient parler de la richesse des exploitants sucriers, mais c'est un détail ; qu'un maire aurait provoqué l'agression d'un journaliste -étonnant, de mon temps, cela n'existait pas : il n'y avait pas de journalistes. MM. Vincent-Delors et Perraut-Pradier y veillaient ; et aussi, plus important, que l'essence et le gaz augmenteraient de façon conséquente. Ce qui serait un drame pour l'économie locale : en effet, comment transporter nos braves coupeurs de cannes sur leur lieu de travail si les cars courant-d'air deviennent hors-de-prix ? Et puis j'ai lu un entrefilet dans une gazette qui m'a donné une idée. Il y était question, je crois, de gaz de shit.
L'Etat français serait contre, d'après ce que j'ai compris, l'exploitation de ce gaz, pour d'obscures raisons.
Mais notre belle île de la Réunion n'est-elle pas l'Eldorado de cette énergie nouvelle ? J'ai fait quelques recherches dans l'Encyclopédie Bourbonnicus, et j'en ai tiré calculs et conclusions : A la Plaine-des-Cafres, les vaches abondent. Et ne sont pas avares de gaz. Je me fais fort de mettre au point un dispositif permettant de recueillir ce "gaz de shit" et de le stocker dans une raffinerie, située par exemple à la Plaine-des-Sables, en quantité suffisante pour alimenter toute l'île, et même pour exporter vers la mère-patrie reconnaissante.
De même, il pousse dans notre île une plante abondante, qui égayait, quand j'étais enfant, nos jardins. Une plante que nos marmailles d'aujourd'hui, ignorants de botanique, apellent abusivement "shit", comme ils diraient "bouse" (j'ai fait de longues études à la Sorbonne, avant de revenir sur mon île, auréolé de gloire et de diplômes. J'ai même été à Oxford... ). Eh bien j'ai remarqué qu'en brûlant scientifiquement cette plante, on obtenait de la fumée. Du gaz de shit !
Hardis, Créoles ! Notre île féconde est pleine de ressources. Et quand le monde s'égare en de vaines interrogations, nos bras insulaires, notre jeunesse issue de la colonie, agissent !
Le gaz de shit est l'avenir du monde ? La colonie de la Réunion peut donner vie à cet avenir. Je me tiens humblement à disposition des maires de notre île, du gouverneur, et de M.Coty, président de la République, pour mettre en oeuvre ce grand projet. J'ai les plans...
Le Vieux Papangue