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La vie rêvée (chapitre 14)

Publié le 10 octobre 2012 par Perce-Neige

La vie rêvée (chapitre 14)Car, au milieu des flammes, au fin fond du brasier, c'est ta silhouette qui me sermonnait. M'intimait l'ordre de me calmer. Me chuchotait. Me caressait le front. Me calfeutrait. Me glissait sous les reins, l'échine, oreillers et coussins, ramenant couvertures derrière le menton. Draps, lingerie rugueuse et divers traversins, linceul d'occasion en travers du thorax. Propos décousus. Requêtes et jérémiades en pagaille. Supplications. Prières en tous genres. Pater noster qui êtes aux cieux, aux antipodes, à Pétaouchnoque ou à Trifouillis les Oies, bordel... Ecoutez moi cinq minutes siouplait. Et pardonnez moi toutes mes offenses bon Dieu. Et plus vite que ça notre père. J'en peux plus d'tout ça. Peux plus d'souffrir... Peux plus d'gémir... Faudrait p'têt, un jour, effec-ti-v'ment me délivrer de la tentation, non ? Du mal. De l'envie. De ce désir effréné de chairs, et de vie, et d'horizons tournoyants, et de vertiges proprement répugnants, et de tes yeux qui me rient... Et d'tes lèvres aspirées. Brève confidence, arc en ciel d'coquelicots, bleuets ou clématites, prairies ensoleillées parfumées de printemps. Faudrait p'têt, un jour, espèce de salopard qu'êtes aux cieux, mettre un peu d'ordre dans tout ça, non ? A ma droite ce qui vous arrange... Bondieuseries d'tout'sortes, séminaristes empourprés, apôtres et saintes-nitouches, hosannas et charités, marie-madeleines pour l'éternité. A ma gauche c'qui te dérange un peu plus mon pote... Cantique des cantiques... Car l'amour, mieux que le vin. Et ton corps d'ivoire poli... Et le miel de ta peau. L'aurore sur tes joues. La rosée perlée du matin. Ivresse de l'ivresse. Le meilleur pour la fin, toujours espérée. Car brusque esquive et plissement des paupières. Car, alors, ondulation feutrée des épaules. Car, aussi, balancement ténébreux du sourire. Car subtile et presque imperceptible bascule du bassin à tribord. L'instant d'après plus franchement à bâbord. Puis gîte excessif du navire. Puis toutes voiles repliées foc et haubans soigneusement attachés, se cramponner à la barre, s'affranchir des rafales et filer au plus près. Cap sur la houle azurée de tes yeux. Et sur tes pupilles qui soudain m'impatientent. Cap sur l'écume dorée de ton ventre. Cap sur ton antre. Cap sur demain. Cap sur plus tard. Cap sur aujourd'hui, tant qu'il est encore temps. Cap sur tout de suite, là, maintenant. Cap sur la nuit. Cap sur le jour. Cap sur la lune, le soleil tout à la fois. Sur l'extrême densité du temps, soudain. Cap sur l'immobilité de toutes choses. Cap sur l'étrange suspension du monde. Les êtres lointains qui n'ont plus de nom. Le chaos gigantesque des éléments. Ton sourire en devenir. Puis déjà le retour des saisons. Et séquencement logique des sentiments. Ajustement du chignon. Agencement soigneux des mèches sur la nuque. Est ce une créature, Dieu, que tu m'envoies pour me forcer la main ? Pour m'exhorter ? Ou me provoquer ? Ou m'obliger ? Ou me presser ? La vérité c'est qu'j'ai toujours pensé qu'il me faudrait bien, un jour, en passer par là. A savoir qu'on m'forcerait à prononcer ton nom. A savoir qu'on m'forcerait alors à épeler lentement chaque syllabe. Chaque mot. Chaque parcelle de lumière. Chaque étoile tombée du ciel. Et que j'devrai désormais apprendre à dire Lae-ti-tia. Calmement tout ça. Et non Violaine. Ou Maud. Ou Stéphanie. Ou Jennifer. Ou Virginie. Ou n'importe lequel de c'foutus prénoms qui peuplent mon imaginaire depuis des lustres. Et que je croise sans connaître à longueur de temps. Et qu'j'interpelle à mots couverts. Et qu'j'salue d'un signe discret d'la main. Sur l'quai du métro. L'embarras d'la foule. Les bousculades. Le scintillement cinématographique d'la toile, parfois. L'ombre qu'la nuit accompagne... J'rêvais ton sourire avant d'en sentir la brulure ! Car j'comprends qu'c'est toi qui t'occupes de moi. Souvent. Et que c'n'est guère une sinécure. Et qu'j'm'essouffle. Et qu'j'n'arrive à rien. Je glisse. Et m'éreinte. M'époumone. M'estampille. Me traine (péniblement) jusqu'à 2 centimètres (pas plus) de l'édredon. M'enroule grave. Et m'entortille sévère. Clame urbi et orbi mon innocence. Et confirme. Et jure mes grands Dieux que je n'y suis pour rien. Et soubressaute. Et m'étripe les boyaux. Et m'exaspère la cervelle. Et m'accapare la moindre conscience... Pourriez vous, Laetitia, me soulever de mon lit ? Auriez-vous, rebelle, la bonté de m'aider ? De m'extraire. M'extrapoler ? Ou m'exhumer ? Me distraire de moi-même. M'extirper de ce fatras ? Me catapulter, direct, dans la stratosphère ? Me délivrer déjà de toute cette pesanteur ? M' seriner toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ?(la suite est ici, ou , c'est à dire nulle part, ça va de soi...)

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