La laïcité, longtemps tenue pour acquise par les élites et de ce fait négligée par ceux qui avaient la responsabilité d’en entretenir la force, a fait un retour au-devant de la scène pendant la dernière campagne électorale. La laïcité est emblématique du récit républicain. La loi de 1905, mainte fois retouchée en un siècle, suscite bien des convoitises. On a vu, par exemple Marine Le Pen, enfourcher le cheval de la laïcité pendant la campagne électorale pour amplifier son discours xénophobe. Le président qui a régné de 2007-2012 était porteur, lui, d’une vision simplificatrice de la laïcité qu’il ne qualifiait de « positive » que pour mieux en amoindrir la portée rassembleuse.
La laïcité au programme
D’une manière tout à fait inattendue celui qui n’était pas encore président de la République, a annoncé, lors de sa déclaration de candidature, son intention d’inscrire dans la Constitution « les principes fondamentaux de la loi de 1905 ». Son programme officiel reprend cette proposition et précise que son intention est d’adjoindre « à l’article 1er, un deuxième alinéa ». Il a proposé alors la rédaction suivante : « La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l’État, conformément au titre premier de la loi de 1905, sous réserve des règles particulières applicables en Alsace et Moselle ». Dans la foulée, de nombreux candidats socialistes aux élections législatives des 10 & 17 juin 2012 inscriront avec plus ou moins de fidélité aux propos du candidat leur intention de « défendre et promouvoir la laïcité et les valeurs de la République ». Cette mention est dans la plupart des professions de foi inscrite dans la rubrique « Agir pour une République exemplaire ».
L’idée ne manque pas de séduire ceux qui sont attachés aux principes républicains portés par la Loi de 1905. Inscrire dans la Constitution le Titre 1 de la loi de Séparation des Églises et de l'État, et notamment son Article 2 serait une avancée importante pour rendre à la laïcité la place qui doit être la sienne dans une société multiculturelle déterminée à lutter contre toutes les formes d’exclusion, de racisme, de sexisme et de discrimination. Une ombre plus que gênante se dessine toutefois. La constitutionnalisation des valeurs de la laïcité est-elle compatible avec l’inclusion du statut particulier des cultes en Alsace et en Moselle ? Constitutionnaliser le régime dérogatoire de l'Alsace-Moselle reviendrait à entériner une situation votée dans la douleur en 1924, à « titre provisoire ». Le contexte d’aujourd’hui est différent. De nouvelles religions sont apparues sur le territoire national. La démarche concordataire reconnaît les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite. L’islam, comme d’autres religions, ne jouit pas, en Alsace-Moselle, des mêmes prérogatives que ces quatre cultes. Accepter ces conditions revient à opérer une politique discriminatoire. Le président de la République a-t-il mesuré ce risque ?
La laïcité, une valeur d'aujourd'hui
Faire progresser l’idée laïque ne peut être synonyme de renoncement. Alors que les deux tiers des français de déclarent athées, agnostiques ou indifférents à la chose religieuse et que parmi les croyants, seule une minorité intégriste ou traditionaliste s’oppose à l’idée de Séparation, la France perdrait là une occasion de faire rimer laïcité avec modernité. Dans le même temps, un mouvement de sécularisation parcourt l'ensemble des pays européens. En Allemagne, la collecte de la contribution fiscale volontaire pour l'entretien des cultes qualifié « d’impôt de religion » connaît, dans de nombreux Länder une forte baisse. La Suède a décidé en 2000 de supprimer la référence à « l’Église d'État » (Église luthérienne) dans la Constitution, tout en adoptant officiellement le principe de Séparation, à la manière de la loi de 1905. Faudrait-il que la France empruntât un chemin inverse ?
Sortir de l'exception concordataire
La proposition du président de la République offre une occasion unique d’accorder le bon
- La laïcité a pignon sur rue. Ici, à Dijon.
sens attaché à l’idée de constitutionnalisation avec l’indispensable modernisation que la situation concordataire appelle. C’est, selon l’expression d’un collectif regroupant 19 associations signataires d’une lettre aux parlementaires, une « sortie graduelle et négociée » du régime dérogatoire des Cultes en Alsace et en Moselle qui devrait accompagner l’idée novatrice du président de la République. Cette mesure qui mettrait fin à une situation de discrimination entre les territoires pourrait être associée à la suppression de l’enseignement religieux (à l’école publique des territoires soumis au Concordat) à remplacer par un enseignement du fait religieux comme élément d'un ensemble, fondé sur des perspectives anthropologiques, politiques et sociales , délivré par des enseignants laïcs porteurs de rigueur et de scientificité. Ce serait ainsi généraliser les lois Ferry à tout le territoire national. Enfin.
Dans son ouvrage, Qu’est-ce que la laïcité ?, le philosophe Henri Penã-Ruiz dégage les trois valeurs primordiales de la laïcité : « la liberté de conscience fondée sur l’autonomie de la personne et de sa sphère privée, la pleine égalité des athées, des agnostiques et des divers croyants, et le souci d’universalité de la sphère publique, la loi commune ne devant promouvoir que ce qui est d’intérêt commun à tous ». La Loi de 1905 porte en elle-même les principes d’égalité, de liberté et de fraternité entre les citoyens. Il est temps de passer aux actes : faire entrer le pays dans une République laïque exemplaire.