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A travers les swing-states : le sud-ouest hispanique

Publié le 12 octobre 2012 par Delits

À moins d’un mois de l’élection présidentielle américaine, seul un petit nombre des cinquante États de l’Union focalisent l’attention, conséquence d’un système électoral indirect où les résultat de l’Iowa ou de la Virginie comptent plus que le nom du vainqueur en voix au niveau national. C’est sur cette partie restreinte du territoire américain que Mitt Romney et Barack Obama dépensent depuis plus d’un an l’essentiel de leur trésor de campagne à grands coups de meetings, de publicités négatives, de sondages et de campagnes de porte à porte. C’est  là que les journalistes tentent de comprendre le vote et les motivations des électeurs, leur sentiment envers les candidats et leurs craintes à l’égard d’une Amérique encore embourbée dans la crise. Et c’est dans ces régions que le 6 novembre au soir, se décidera le nom du 45ème Président des États-Unis.

Ces swing states se situent dans trois régions distinctes du pays : le sud-est, le long de la frontière mexicaine ; le Vieux Sud, le long de la côte Atlantique et du Golfe du Mexique ; la Rust Belt, le long de la frontière canadienne. Ces États ont en commun d’avoir été dans le passé fermement attaché au camp républicain ou démocrate et d’être aujourd’hui très disputés. Cette évolution s’explique par différentes logiques, qu’elles soient politiques, économiques, ou démographiques.

A travers les swing-states : le sud-ouest hispanique

(Plus les États sont bleus, plus ils ont voté républicain aux élections présidentielles depuis 1968; plus ils sont rouges, plus ils ont voté démocrate).

Parmi ces swing states, plusieurs États du sud-ouest : le Colorado, au milieu des montagnes Rocheuses, le Nouveau-Mexique et l’Arizona, le long de la frontière mexicaine, et le Nevada, situé entre les Rocheuses et la Californie. Historiquement, ces États sont tous des bastions républicains : depuis 1968, le moins favorable au camp conservateur, le Nouveau-Mexique, a tout de même voté pour le candidat du GOP à l’élection présidentielle sept fois sur onze. L’Arizona, lui, n’a fait défaut aux républicains qu’à une seule reprise, en 1996.

Mais les temps changent, et ces quatre États sont aujourd’hui des swing states très disputés entre Mitt Romney et Barack Obama. Le Colorado fait figure d’État essentiel pour le Président sortant, qui s’y trouve à égalité avec Mitt Romney selon un des principaux agrégateur de sondages. Sa situation est légèrement meilleure dans le Nevada et surtout au Nouveau Mexique, où il dispose de quelques points d’avance. Il est en revanche désormais assez nettement distancé en Arizona, où une victoire démocrate ferait figure de surprise.

Cette situation ne date pas d’hier. Les démocrates progressent en effet régulièrement dans cette région, comme le montre le graphique ci-dessous, qui indique la différence entre le vote de chaque État et le vote de l’ensemble des États-Unis à chaque scrutin présidentiel : si un État vote plus démocrate que l’ensemble des États-Unis, il se trouve au dessus de 0, et s’il vote moins démocrate que la moyenne, au dessous de 0.

 

A travers les swing-states : le sud-ouest hispanique

Des années 1960 aux années 1980, le sud-ouest était plus républicain que la moyenne, avec un pic très fort en 1980, année de l’élection de Ronald Reagan, ancien Gouverneur de la Californie voisine. Toutefois, depuis 1980, on note une évolution lente, irrégulière mais nette vers le camp démocrate, à tel point qu’en 2008, trois États ont plus voté pour Barack Obama que la moyenne des Américains : un comble pour une région traditionnellement républicaine. Et si l’Arizona à fait défaut au candidat démocrate et à au contraire fait un net retour vers le camp républicain, c’est sans doute parce que le candidat du GOP, John McCain, en était Sénateur depuis 1987.

Comment expliquer cette transformation électorale ? En grande partie par des changements démographiques. En effet, cette partie du pays voit une montée très rapide de la population hispanique, à la fois du fait d’une implantation très ancienne (datant de la colonisation espagnole au XVIIème et XVIIIème siècles), d’un taux de natalité supérieur à la moyenne (2,4 enfants par femme contre 1,8 pour les femmes blanches non-hispaniques) et d’une forte immigration venue d’Amérique latine (40% des immigrants légaux et 81% des immigrants illégaux qui arrivent chaque année). Ainsi, entre 1990 et 2010, la part des latinos dans la population du Nevada est passée de 10,4% à 26,5%, de 12,9% à 20,7% au Colorado, de 18,8% à 29,6% en Arizona et de 38,2% à 46,3% au Nouveau Mexique.

Or, cette population hispanique vote très majoritairement démocrate : en 2008, les latinos avaient voté à 69% pour Barack Obama contre 31% pour John McCain au niveau national. Dans le sud-ouest, 76% des latinos du Nevada avait voté pour le candidat démocrate. Ils étaient 69% à faire de même au Nouveau Mexique, 61% au Colorado et 56% en Arizona. Certes, cette population, comme les autres minorités ethniques, vote moins que la moyenne : en 2008, seuls 49,9% des latinos en âge de voter s’étaient rendus aux urnes, contre 65,2% des afro-américains et 66,1% des blancs. Mais leur seul poids démographique représente désormais une force suffisante pour faire basculer dans le camp démocrate certains États.

Comment l’expliquer cette domination des démocrates au sein de la population hispanique ? Tout d’abord, par le facteur économique : les latinos sont plus pauvres que la moyenne des Américains, et ils se montrent en conséquence plus favorables que les blancs à la redistribution des richesses ou à l’intervention de l’État dans l’économie. De plus, la fermeté grandissante des républicains sur la question de l’immigration les pousse dans les bras des démocrates, même si Barack Obama a considérablement déçu leurs espoirs pendant son mandat. Certes, le fait qu’une grande majorité des hispaniques soient aussi des catholiques pour lesquels la religion compte beaucoup les incite à un certain conservatisme culturel (avortement, mariage gay), mais qui reste modéré et ne semble pas prendre le pas sur les enjeux économiques et sociaux. Un moule idéologique qui ne concerne toutefois pas l’ensemble des hispano-américains : ainsi, les latinos de Floride, souvent d’anciens exilés cubains, sont connus pour leur attachement au GOP du fait de la position ferme du parti républicain à l’égard du régime castriste.

Cette présence latino explique-t-elle à elle seule les bouleversements électoraux en cours dans ces quatre États du sud-ouest ? Sans doute pas, sinon le Texas et ses 38% d’hispaniques serait aussi en train de devenir un bastion démocrate (ce qui n’est cependant pas impossible à moyen-terme). Mais on peut ajouter à ce facteur hispanique la présence d’autres minorités largement acquises aux démocrates (notamment les indiens-américains qui forment jusqu’à 10% de la population au Nouveau-Mexique), le taux d’urbanisation supérieur à la moyenne dans ces États (les villes votant plus démocrate que les banlieues ou les campagnes) et une tradition politique libertarienne de l’Ouest américain, plus susceptible de favoriser la montée de forces progressistes que le conservatisme d’États du Sud comme le Texas ou, dans une moindre mesure, la Floride.

Reste que remporter le Nouveau-Mexique, le Nevada voire le Colorado risque de ne pas suffire à assurer sa réélection à Barack Obama. Avec respectivement 5, 6 et 9 grands électeurs, ils ne jouent pas dans la même cour que les 15 grands électeurs de Caroline du Nord, les 18 de l’Ohio ou les 29 de Floride. Des États qui sont peu à peu devenus des swing states pour d’autres raisons qu’une montée du vote latino…


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