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Légalisation de la drogue : pour un pragmatisme libéral-conservateur

Publié le 16 octobre 2012 par Copeau @Contrepoints

Vincent Peillon a mis à son insu la question de la dépénalisation du cannabis au centre du débat politique. Quelle position peuvent défendre les libéraux conservateurs sur la légalisation de la drogue ?

Par Ludovic L. du Cercle Raymond Poincaré.

Légalisation de la drogue : pour un pragmatisme libéral-conservateur

Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale

On connaît la position des ultra-libéraux mangeurs d'enfants, favorables au laisser-faire en matière de stupéfiants comme en tout autre sujet. L'aspect apparemment « libertaire » de cette opinion peut rebuter l'homme de droite, peut-être plus tatillon en matière d'ordre public que les libéraux. L'argumentaire utilisé par ceux-ci semble toutefois parfaitement recevable pour un conservateur, à condition toutefois d'en adapter le ton. À bien des égards, la guerre contre la drogue contrevient au bon sens ; or, quoi de plus « pays réel » que le bon sens ?

Hygiénisme progressiste contre responsabilité individuelle

L'interdiction de la consommation de drogues relève de la volonté de protéger certains individus contre eux-même. Sans exagérer le moins du monde, et en pesant mes mots avec précision, je qualifierais cet état d'esprit de totalitaire. Protéger les individus contre eux-même revient à les empêcher de faire usage de leur libre-arbitre pour déterminer ce qui est bon ou mauvais, pour discerner le Bien du Mal. C'est substituer l’État aux citoyens dans l'organisation de leurs vies, pour paraphraser un Tocqueville qui observait déjà les signes avant-coureurs de ce mode de pensée dans la société américaine d'alors. C'est prendre le citoyen pour un enfant, le réduire à un état tutélaire. Par quel miracle du raisonnement la masse du peuple pourrait tout à la fois être assez sage pour décider elle-même du gouvernement qu'elle entend se donner, et assez stupide pour que l'on doive décider pour elle de ce qu'elle peut consommer ou non ?

En matière de drogue comme pour tout le reste, la responsabilité individuelle doit primer. Telle est, en Occident chrétien, notre tradition politique : nous pouvons mal agir, mais gare aux conséquences ! L'interdiction pénale faite aux individus de se droguer revient à imposer une forme de morale « laïque » de remplacement à l'ensemble des citoyens, à laquelle personne ne peut déroger. Alors qu'il appartenait aux hommes d’Église de professer un enseignement moral aux Français, de conseiller les personnes de bonne volonté et d'accueillir les marginaux, le bannissement – purement théorique – des stupéfiants du territoire national opère un glissement de compétence des instances religieuses vers l’État. La conséquence en termes de moralité publique tombe comme un couperet : on se tient éloigné des drogues non car cela est mauvais, mais car c'est interdit. La destruction de la responsabilité individuelle par l’État a pour effet systématique la sape des corps intermédiaires. La famille n'en sort pas indemne : l'interdiction de pure façade qui est celle que nous connaissons contribue à abaisser la vigilance des parents.

Le vice a toujours existé. Il a toujours été marginal, également. Croire que l'on peut le faire disparaître par la loi relève du déni de réalité et d'une méconnaissance de ce qu'est la nature humaine, des tares que j'attribue plus volontiers aux socialistes qu'aux authentiques conservateurs. Plus grave, l'interdiction de ce vice qu'est la prise de drogue fait le lit de l'hygiénisme, qui constitue une véritable menace pour les libertés personnelles, tandis qu'il brouille la distinction entre interdit moral et interdit légal. Sommes-nous certains qu'il s'agisse d'un calcul gagnant sur le long terme ? La loi ne peut nous rendre notre moralité, elle peut en revanche nous reprendre notre liberté. Elle peut également priver un peuple de son caractère : voulons nous vraiment réduire la France à l'état de grande nurserie ?

Quid de l'ordre public ?

À droite, l'inquiétude provient généralement de ce que la fin de la prohibition des drogues résulterait en une forme de chaos social, de débauche généralisée, Sodome et Gomorrhe, 21 décembre 2012, etc. Comme je l'ai laissé entendre dans le paragraphe précédent, j'en doute fortement. A ceux qui tiennent ce discours, je réponds généralement : vous-même, vous drogueriez-vous si cela était légal ? Si oui, vous êtes un hypocrite ; si non, vous n'êtes pas le seul.

Vivons-nous dans un monde moins drogué et plus « moral » qu'en 1916, 1953 ou 1970 ? Rien n'est moins sûr. Tout au contraire, la prohibition procure des revenus aux mafias distributrices, qui leur permettent d'employer une foule de petites mains pour fabriquer et vendre leurs produits de façon souterraine, avec les méthodes violentes qui sont celles des réseaux de contrebande : autant pour l'ordre public. L'aggravation des problèmes d'insécurité dans certains territoires en raison du trafic de drogue, et des règlements de compte qui vont avec, est un fait qui n'est débattu par personne. La coût de la répression du crime engendré par la prohibition est faramineux, et son efficacité est pour le moins discutable. Or, les ressources sont rares par nature : pour juguler un problème créé de toute pièce par cette interdiction, on engorge les prisons, et l'on transfert des ressources importantes vers les services spécialisés de la police et de la gendarmerie, ces fameuses « brigades des stups ». Cela représente autant de moyens enlevés aux activités traditionnelles de la police, qui consistent à prévenir et punir les agressions contre les biens et les personnes. Si la petite frappe qui a volé votre téléphone portable dans le RER n'est jamais inquiétée, c'est car l'agent qui aurait dû être mobilisé pour le retrouver est occupé à la traque de consommateurs de cocaïne qui ne se nuisent pourtant qu'à eux-mêmes ; si le voyou qui a tabassé votre voisin écope d'une peine avec sursis, c'est parce qu'un dealer occupe déjà sa place en prison. Et cela pour quel résultat ? Le taux d'expérimentation du cannabis à 17 ans a doublé entre 1993 et 2008 selon une étude de l'Observatoire français des drogues et de la toxicomanie, et ce malgré une répression soutenue sur toute la période.

La conséquence économique de la prohibition est d'augmenter mécaniquement le coût de la prise de drogue, et donc la lucrativité des affaires liées aux stupéfiants. De là, deux effets pervers : d'une part, le propre d'un secteur rémunérateur est de recruter sans difficulté. La prohibition envoie aux jeunes défavorisés (ou non, d'ailleurs) un signal, celui qu'il est plus porteur, d'un point de vue professionnel, de faire carrière dans le crime que de trouver un boulot rangé. Qui parlait de moralité publique, déjà ? D'autre part, elle complique la vie du drogué qui veut assouvir son vice. Et par complique, je veux dire qu'il lui devient matériellement impossible de continuer à se droguer en se contentant d'une activité légale. Pour satisfaire son addiction, il n'a pas d'autres choix que de verser dans la petite délinquance, de squatter, se prostituer, etc. Là encore, nous sommes bien éloignés des idéaux d'ordre et de moralité publics qui président à l'idéologie prohibitionniste. Je ne méconnais pas l'argument selon lequel le prix constituerait un obstacle à la consommation de drogue, je reconnais même sa validité dans une certaine mesure. Un petite, très petite mesure, toutefois : l'élasticité-prix de la demande de produits stupéfiants est logiquement très faible, et les exemples ne manquent pas, en France et ailleurs, d'échec de politiques de renchérissement à faire baisser significativement la consommation de produits addictifs.

Rendez-nous nos sous !

Entendu maintes fois est l'argument selon lequel les substances stupéfiantes « doivent » être interdites car notre système d'assurance maladie mutualise les coûts, et fait donc supporter le prix des comportements à risque sur l'ensemble de la communauté nationale. On pourrait alors s'interroger sur le bien-fondé d'un dispositif qui subventionne les pratiques à risque et fait régler l'addition par les travailleurs. Vous, l'honnête homme, le chef de bonne famille, payez pour les drogués, les alcooliques et autres dépravés de tous genres : est-ce bien normal ? Une administration qui, pour fonctionner correctement, requiert diverses interdictions et le contrôle de la vie privée des individus – ce dont relève normalement la consommation de drogues – ne représente-t-elle pas un danger pour la démocratie ? Le format d'un article étant ce qu'il est, je laisse le lecteur méditer seul sur ces questions : intéressons-nous plutôt à la dimension économique de la question.

En premier lieu, il n'est pas certain que les drogués coûtent plus cher à la communauté que les citoyens lambda, car leurs pratiques à risque ont pour conséquence de raccourcir leur durée de vie. Autant d'économisé en retraites et autres frais pour adultes grabataires. Par ailleurs, de même que le fumeur est un contributeur net au budget de l’État, le produit distribué serait, en cas de légalisation, taxé en règle de façon à en compenser le coût dit « social » . Compte tenu des volumes concernés, en constante augmentation malgré l'interdit, cela représente des recettes fiscales potentielles conséquentes. Il est vraisemblable que la légalisation puis la taxation des substances stupéfiantes soient en réalité un bonne affaire pour les comptes sociaux de la nation, ainsi qu'un élément de justice : non seulement cela engendrerait des recettes fiscales supplémentaires, mais cela rendrait les consommateurs de ces produits contribuables, ce qui est en soi une bonne chose du point de vue de l'équité fiscale.

On imagine parfois que légaliser l'usage de certaines drogues reviendrait à le frapper du sceau de la moralité. Rien n'est plus faux. Tout ce qui est légal n'est pas nécessairement bon, bien entendu. Et tout ce qui est mauvais ne doit pas nécessairement être interdit. En revanche, la situation actuelle relève d'une hypocrisie toute social-démocrate : se droguer, ce n'est tout de même pas très gentil, c'est donc interdit ; mais si vous le faites on vous aidera à vous en sortir, on paiera vos soins, on financera votre réadaptation. Or, le conservateur sait le rôle fondamental que joue l'ostracisme social dans une société ordonnée : il s'agit tout simplement d'une question de responsabilité, qui est le corollaire nécessaire de la liberté. C'est parce que l'homme est libre, par nature, qu'il est libre de mal agir. Mais il doit alors en assumer les conséquences : on ne peut pas attendre des autres qu'ils payent pour ses propres pots cassés. On ne peut pas se plaindre de subir l'exclusion d'un groupe si l'on n'en respecte pas les règles de fonctionnement. Ainsi, le libéral conséquent et le conservateur réaliste trouvent un angle d'accord : libres, mais responsables !

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