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Le Prince, Leclerc et le Grincheux

Par Alainlasverne @AlainLasverne

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GRAPH XXXXXVIII
ême pour les mélancoliques il faisait un temps à ne pas mettre un sans-papiers dehors, en ce 18 octobre 2012. Lequel décourageait mon envie légitime de flâner le long des rues, léger et vêtu d'un blouson tout à fait adapté à la saison des pluies, qui commence en Normandie le 1er Janvier mais a le bon goût de se faire oublier vers le 31 Décembre.

Bref, n'écoutant que mon instinct j'ai laissé la voiture me guider vers le Leclerc le plus proche.

A dix-sept heures, la ruée des caddies perdait un peu de son enthousiasme. Les trous dans la procession, les vides dans l'espace sous les néons, tout cela ramenait presque le gigantesque édifice, bordé d'un non moins immense parking, à une relative normalité.

Je suis allé traîner vers les vins. Mon côté terroir. Edouard, ou peut-être Michel, à moins que ce ne soit Alfred, faisait le Faugères à 3€60 la bouteille. J'ai commencé à remplir mon panier. J'adore ce vin qui ne passe qu'à peine la limite supérieure des sommes que mon ordinateur personnel a décidé de consacrer aux vins de table, sous-catégorie des « boissons alcoolisées », chapitre « dépenses culinaires ». D'autant qu'il peut être conservé deux ou trois jours après ouverture sans prendre cette odeur piquante et ce goût acide des boissons ayant refusé de tenir plus longtemps dans un environnement ouvert à tous les vents.

J'évaluais la qualité potentielle d'un Bordeaux 2011 élevé en cave coopérative, quand j'ai vu un homme qui détaillait le rayon opposé au mien en souriant. Une bouffée d'endorphines m'a allégé du spleen existentiel, vite contrebalancée par le fait indéniable que l'homme observait le rayon des boissons alcoolisées en cubitainers. Malgré les vives couleurs des packs de carton, la pensée du liquide qui se cache en-dessous ne peut inciter un humain normalisé à sourire. Il continuait à observer de bas en haut. J'ai voulu en avoir le cœur net, nous étions tout de même dans un hyper.

Il me répondit bien volontiers, avec un nouveau sourire. L’œil était lucide, la mèche brune et la figure avenante, même si un peu pâlotte. Il ne devait pas dépasser une taille très moyenne et son physique était résolument quelconque. Conformité cohérente avec les critères d'invisibilité requis par Leclerc Maxime. D'ailleurs la muzak persistait et je savais que never I saw her so glad mais le rayon boucherie faisait quand même le filet à Purple Rain sur Radio bleue, mes gaillards !

Il souriait toujours. J'ai mené mon enquête, naturellement, et j'ai bien fait, je crois.

La valeur n'attendant pas le nombre des années, Jérôme Leclerc venait d'embaucher le jeune autochtone. Oui, il travaillait bien sous ces mêmes néons qui me plombaient résolument la tête, avec en poche un CDI. L'indigène, d'un naturel avenant, n'était pas resté en panne sur le dur chemin de la rédemption commerciale. Il avait tâté du fleuriste et de la plate-forme téléphonique. La leçon de sa vie, il me la récitait les mains au fond des poches, du haut de ses vingt-neuf ans, avec une modestie si vraie et paisible que je regardais autour de moi par instants. Je ne parvins pas à le mettre en défaut. Il ne surjouait pas plus qu'il n'y avait de caméra alentours.

Il me donna son diagnostic sur ses premiers jours, à peine écoulés. Les chefs n'élevaient pas la voix, les collègues étaient sympas, le travail intéressant et le salaire très correct. Ses yeux nullement dilatés m'offraient un aperçu que Milton n'aurait pas désavoué.

J'avais été un grand lecteur de Conan Doyle et je connaissais plutôt pas mal les labyrinthes sanglants de (auteur du Dalhia noir). Accessoirement, ma vie n'avait que peu à voir avec la roue de la Fortune et j'avais en tête quelques cheffaillons et collègues à qui j'aurais volontiers décerné une médaille d'une bonne cinquantaine de kilos, avant de leur offrir une safari baignade dans les quarantièmes rugissants.

J'évoquais la dynamique économique plutôt favorable aux contrats éphémères de travail éphémères et délocalisables, ainsi que les quelques dizaines de milliers de gamins sortant de l'école avec un CAP option casse ascendant manque de bol, précisément comme lui, imprimais-je dans sa tête en enfonçant mon index dans son estomac.

Sans oublier, petit illuminé ravi, les retraites chapeaux que les Leclerc de la planète versent à leurs big chefs dont tu ne feras jamais parti. Et les caissières, ces touchantes et mutines caissières dont tu es maintenant collègue avant, peut-être, d'en amener une à signer avec toi un bail sur un logement d'avenir payable en trente ans de traites ininterrompus, tu crois qu'elles ont des salaires à remplir des Livret A, des chefs à harceler pour qu'il osent une petite remarque de temps en temps et des collègues qui les entraînent chaque matin dans le cercle des caissières détendues ?!..

Du haut de son Olympe, il ne s'irrita point. D'ailleurs, il se trouvait là en dehors de ses heures de travail. Il venait pour observer son rayon, in situ comme un consommateur lambda, et apprendre si possible le nom des différents vins. Non pas pour bientôt adhérer à une confrérie de taste-vins, comme je l'y incitais vaguement, avec cette énergie dernière que l'humain, à la différence de la bête, sait trouver au fond du désespoir. Il ne buvait jamais d'alcool, cet élu, mais tenait à pouvoir réagir instantanément aux ordres de son délicieux supérieur et de ce merveilleux fichier Excel qui classait les deux cent référence du rayon.

A l'impossible nul n'est tenu. Je souhaitais bonne chance à ce travailleur et reparti tête baissée vers l'entrée où je venais d'apprendre qu'il y avait nothing too loose but le kilo de jambonneau à prix cassé, mais vraiment cassé.

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