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Fusion Astral-Bell : toujours plus de concentration dans les médias canadiens

Publié le 16 octobre 2012 par Montrealmedias @TinMarEk

Fusion Astral-Bell : toujours plus de concentration dans les médias canadiens

Si le rachat d’Astral Media par Bell est approuvé par le Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes (CRTC) et le Bureau de la Concurrence, le public canadien assistera à la naissance d’un géant médiatique, symbole d’une concentration médiatique devenue la norme. Et ceci dans l’indifférence générale…

Le 16 mars dernier, la nouvelle du rachat du groupe Astral Media par Bell, pour la somme de 3,38 milliards de dollars, est tombée. Les actionnaires d’Astral ont ensuite approuvé la vente le 24 mai.

Un dernier obstacle se dresse cependant devant Bell : le Bureau de la Concurrence et le Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications Canadiennes (CRTC), équivalent canadien du CSA. Après avoir effectué des audiences publiques, le CRTC devrait rendre sa décision prochainement. Il se prononcera en regard de la loi sur la radiodiffusion et la loi sur les télécommunications. Le Bureau de la Concurrence, qui s’est montré inquiet, pourrait également refuser l’opération.

Si la transaction est validée, nous assisterons à la naissance d’un géant médiatique à l’échelle canadienne, et d’un concurrent d’envergure à Québecor au Québec. Mais de quoi parlons-nous au juste ?

L’ogre Astral-Bell

Pour mieux saisir l’enjeu de cette transaction, il est important de faire l’inventaire des forces en présence :

  • La compagnie Bell possède déjà 1 chaîne généraliste (le réseau CTV), 30 chaînes spécialisées (dont RDS au Québec, le canal francophone du sport), 33 stations de radio, des sites webs comme sympatico.ca, en plus d’être un fournisseur important d’accès télé, téléphone et Internet. Au total, Bell détient 33,7 % du marché télévisuel anglophone et 6 % du marché au Québec[1].
  • Le groupe Astral Média détient 24 chaînes spécialisées, 84 stations de radio dans 8 provinces (dont NRJ au Québec, plus gros réseau de radio privée québécois), ce qui fait de lui le premier radiodiffuseur du pays, ainsi que 9 500 panneaux d’affichage via Astral Affichage. Au total, Astral détient 6 % du marché télévisuel anglophone et 26 % du marché au Québec.
Fusion Astral-Bell : toujours plus de concentration dans les médias canadiens

(Crédits : Radio Canada)

L’empire né de la fusion serait pour le moins imposant : 39,7 % du marché canadien anglophone et 32 % du marché québécois[2]. Mais comme il l’a fait savoir en 2008, le CRTC se montre plutôt réticent à valider des transactions entraînant une part de marché supérieure à 35 %. Attendons de voir, donc.

Indifférence générale

Au Québec, il est curieux de constater que l’acquisition d’Astral par Bell ne suscite pas plus de protestations dans la sphère journalistique. Si l’on excepte une chronique dans l’hebdo culturel gratuit Voir[3], quelques papiers ça et dans Le Devoir (seul grand titre indépendant au Québec), ainsi qu’un article esquissant un début de critique sur le site du Conseil de Presse du Québec, le gros de la presse a traité l’information sous un angle purement économique, sans jamais s’arrêter sur la menace que fait peser cette fusion sur la liberté de la presse.

Quel pluralisme ? Quelle liberté d’information ? Pour certains, ces sujets ne valent pas la peine d’un éditorial. Non, il vaut mieux se réjouir de la saine concurrence entre Astral-Bell et Québecor, l’empire médiatique québécois (à hauteur de 35 % du marché), petit génie de la concentration verticale, qu’engendrera la transaction.

Fusion Astral-Bell : toujours plus de concentration dans les médias canadiens

(Crédits : Radio Canada)

C’est en substance le message que nous délivre André Pratte, éditorialiste pour La Presse. Le 13 août, dans un billet dont le titre « Un émoi injustifié » annonce la couleur, voici ce qu’écrit le journaliste : « On peut prévoir une concurrence très vive entre les deux entreprises de distribution et de contenu, concurrence dont ne pourront que profiter les consommateurs, les annonceurs et le milieu culturel.[4] »

Plutôt que de s’inquiéter de la naissance d’un second géant de la taille de Québecor, plutôt que de renouveler ses doutes face à l’existence d’un tel empire que Québecor, l’éditorialiste en chef de La Presse préfère se réjouir : chouette, un duopole ! Quitte à nier les conséquences qu’aura cette situation sur la liberté de la presse, le pluralisme, la qualité de l’information… donc sur le contenu offert aux « consommateurs » !

(Auto-)critique

Il est enfin exquis de constater que les contestations que l’on aurait voulues formulées par les journalistes des grands médias, ou même par la Fédération Professionnelle des Journalistes  du Québec, restée muette sur cette affaire[5], soient sorties de la bouche de Pierre Karl Péladeau, PDG de… Québecor !

Lors de son audition devant le CRTC, ce dernier a en effet déclaré que le « projet de transaction comporte un nombre effarant de précédents auxquels nul autre pays occidental, soucieux de diversité, de concurrence et de démocratie, n’aura eu à faire face ». Puis d’ajouter que le Canada serait le seul pays ayant accepté de combiner une entreprise « bâtie sur un monopole consenti par l’État pendant plus d’un siècle, avec un pôle de radiodiffusion dont le seuil de concentration effleure celui du conglomérat Médiaset, de Silvio Berlusconi, en Italie. » Belle (auto-)critique !


[1] Selon les chiffres de Radio Canada, visibles ici notamment. Le journaliste spécialisé en économie de Radio Canada, Gérald Fillion, nous a confirmé qu’il existait bien une querelle de chiffres. Les chiffres du CRTC, proches de ceux publiés par Radio Canada, sont consultables ici.

[2] Respectivement 39,7 % et 26,6 % selon le CRTC.

[3] Où l’on peut notamment lire ceci : « Au lieu de cela, au lieu du débat qu’il est urgent d’avoir depuis 10, voire 15 ans sur la concentration de la presse au Québec comme au Canada, c’est un silence radio quasi total. La discussion sur la concentration sera demeurée à l’intérieur de normes dictées par les chiffres, le strict poids des parts de marché et les considérations platement commerciales. Exit la question de la précarité du métier de journaliste, exit les possibilités d’embauche. »

[4] Passage souligné par nous.

[5] Malgré l’envoi de plusieurs mails pour connaître les raisons de ce silence, nous sommes restés sans nouvelles de la FPJQ.



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