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le travail

Publié le 16 octobre 2012 par Lironjeremy

le travail La figuration, entant que tel, n’est pas un enjeu. On saurait représenter à peu de frais quelque chose de reconnaissable et, en insistant un peu, atteindre un réalisme poussé qui donnerait l’illusion plus ou moins de se retrouver devant un cliché photographique. Il faut une main docile, quelques rudiments techniques et une observation patiente de ce que l’on veut figurer. Partant d’une photographie pour modèle, ce serait cocasse que de se retrouver à dupliquer par les moyens laborieux de la peinture une image qui, elle, est un produit mécanique. Il y aurait là quelque chose de gentiment absurde. Enfin, l’idée n’est pas là. Il ne s’agit pas de prouesse manuelle, de virtuosité. Le tableau n’est pas la simple matérialisation appliquée de quelque chose qui nous serait donné. Sinon, autant en confier la réalisation à d’autres ou à quelconque mécanique. La chose que l’on tient déjà, ne serait-ce qu’en pensée, ne porte plus l’enjeu de sa découverte. En fait, l’espace arbitraire que l’on trace par le format est un espace de pensée, une scène comme l’auront dit les théoriciens de l’action painting. Non pas que la toile ne fasse qu’enregistrer par la trace les mouvements de celui qui s’y est confronté, mais elle est le lieu ou la peinture se pense en acte, où elle se formule. Le projet qui guide le geste n’est la plupart du temps qu’une chose vague, entrevue, pleine de zones d’ombre. Tout est à faire, face au tableau. (…) Tu as remarqué d’ailleurs les allés retours, les repentirs, le flottement des formes et des couleurs tout le long du travail : rien n’était établi, prémédité. Tout était à essayer. Tu as constaté les longs moments d’attente à scruter assis, les bras pliés, la surface de la toile, les rapports qui s’ajustent, les accidents à considérer. Comme à démêler de l’œil l’amas confus, informe qui se brosse. Je te dirais que c’est le plus fatiguant, le plus éprouvant nerveusement et le plus excitant aussi : on imagine le vieil Hugo aux prises avec ses taches, imaginant ce qu’il pourrait en tirer. Souvent on n’y voit rien, c’est confus ou trop évident. On enregistre les modifications possibles, mentalement, essaie de les tenir dans l’œil suffisamment  pour avancer mentalement. Les possibilités se croisent, avec leurs enchainements particuliers, on revient mentalement à la précédente et le choix de cette direction détermine un premier geste à l’origine de l’enchainement. On se lève, prépare son mélange et s’en va tracer. A peine un geste que l’on revient s’asseoir, mesurer ce qui a changé dans les rapports entre chaque élément. C’est ça dix fois, vingt fois, cent fois. Moi c’est souvent que je perds la chaine imaginée, appelé ailleurs par ce qui se passe ou distrait par le fait de faire et qui hache la pensée. J’oublie de regarder la carte que je m’étais tracé, l’égare, alors je me perds pinceau à la main en faisant cent détours, en empruntant dix impasses. (…) Quand tu me demandes ce que je cherche à peindre à travers ces figures urbaines, je te dis que c’est une présence. Lever une présence, donner une certaine densité à l’image, une épaisseur, toute en maintenant une certaine manière d’évidence. Tout le travail que tu vois, puisqu’il n’est pas organisé par la simple figuration fidèle, est un travail d’épaisseur. Ça raisonne avec le fond du ventre, pas simplement avec l’œil ou la tête. Sans doute que l’image est là pour ça : aborder ; après, ce n’est qu’un prétexte, ou qu’un outil. (…) Si je n’ai pas une certaine maitrise ou assurance maintenant à force de tracer ces images semblables ? Regarde comme je rate, comme je bute, comme je suis perdu presqu’un tableau sur deux. Parfois un tableau se fait presque trop facilement et je crains alors de m’être répété, d’avoir réalisé une évidence. (…) Oui, il arrive régulièrement de nouvelles choses. Je trouve un geste de peinture, un accord de couleur jusqu’ici jamais tenté, une manière de composer l’ensemble. C’est plus manifeste encore sur cette petite série que tu vois à gauche et qui consiste à répéter inlassablement et de mémoire un même motif ordinaire. Cela tient de l’expérience, je ne sais rien d’avance, mais j’essaie de voir si chaque fois il se passe autre chose et jusqu’où je peux tenir l’affaire. (…) Que je souhaite enlever tous les détails qui font signe, qu’il n’y ait jamais aucune présence humaine est pour moi une manière d’éviter toute anecdote. Je dis, je ne veux pas raconter d’histoire, pas d’un tableau à lire, mais davantage installer un rapport de contemplation. Tu me dis que mes tableaux racontent quand même, mais moi je crois que c’est nous qui nous racontons des choses depuis les tableaux, mais qu’eux ne disent rien qu’une présence évidente et muette. Quand tu me demandes si peindre un portrait ne serait pas pareil à peindre un bâtiment, je ressent que non. Sans bien pouvoir expliquer. Le visage sonnerait faux, artifice, du fait qu’il s’agit d’une réalité vivante. Le mur me semble mieux convenir. Je te raconte comme les photographies anciennes du fait de long temps de pause ne fixaient que le décor traversé ça et là et silhouettes fantomatiques et que c’est e qui se donne à moi comme une évidence, le sujet c’est l’alentour vide que l’on aborde. (…)

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