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Avons-nous encore les moyens de prohiber la drogue ?

Publié le 17 octobre 2012 par H16

L’actualité est parfois facétieuse : alors que des affaires de blanchiment de l’argent de la drogue éclaboussent un membre du parti officiellement pour une dépénalisation du cannabis, le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon, du parti officiellement pour, contre, ne sait pas, n’a rien trouvé de mieux à faire qu’à se déclarer lui aussi ouvertement pour, alors qu’au gouvernement, la question ne doit surtout pas être abordée…

hollande humide et triste
On ne peut évidemment pas s’empêcher de sourire en voyant la troupe de pieds nickelés du gouvernement se chamailler à ce sujet pendant que le premier ministre, ayant perdu toute colonne vertébrale lorsqu’il s’est récemment réincarné en bulot, tente en vain de discipliner tout ça sous le regard atone d’un président dépassé par les événements, sa vie de couple et les finances d’un pays en décomposition avancée. Mais foin de palabres sur les médiocres qui s’agitent : si le débat a été bien piteusement lancé, et, sans nul doute, à un fort mauvais moment, il n’en reste pas moins que le fond de ce dernier, lui, mérite mieux que les pathétiques ronds de jambe d’une majorité empêtrée dans sa confusion mentale habituelle.

Doit-on dépénaliser la drogue ? Doit-on, de façon plus restreinte, se contenter du cannabis ? A-t-on seulement le droit d’ouvrir le débat ?

Ici, je pourrai reprendre la litanie d’arguments libéraux ou libertariens qui expliquent, de façon logique, articulée et sensée pourquoi les individus, libres et responsables, devraient avoir le droit de se droguer, quitte à se détruire la santé, étant finalement les seuls juges de ce qui est bon (ou pas) pour eux.

Mais cette fois-ci, je me contenterai de poser une autre question : a-t-on vraiment les moyens de continuer à pénaliser l’usage et le trafic de drogue ? La question, ici, est en réalité bien plus pertinente que toutes les autres sur le libre-arbitre, la propriété de son corps et le reste, pour la simple et bonne raison que les finances du pays et les ressources humaines dont il dispose pour lutter contre l’usage et le trafic de drogue sont complètement épuisées.

Vous pensez que j’exagère ? Oui, bon, certes, c’est aussi le style de la maison, mais pour une fois, j’ai quelques chiffres qui méritent réflexion.

Par exemple, on pourrait regarder la quantité de cannabis saisie sur les dernières années. En cherchant un peu, on tombe sur des statistiques intéressantes issues de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, qui indiquent simultanément que le nombre de saisies a, assez régulièrement augmenté, mais que la quantité (ici en kg) de cannabis saisi suit le profil suivant :

Qté de cannabis saisi 1996 - 2010

Comme on peut le constater, on tourne autour de 60 tonnes par an. Sauf à considérer que les trafiquants augmentent les quantités vendues en France sans se faire plus pincer, ce qui supposerait un étonnant accroissement de leur efficacité, on en déduit assez logiquement que la consommation doit peu ou prou suivre le même profil, à savoir à peu près stable. Parallèlement, le budget alloué pour la lutte contre le trafic n’est en baisse ni en euros courants, ni en euros constants. Pour ces données, il faut aller fouiller dans des douzaines de sites dont il est particulièrement difficile d’extraire des valeurs pertinentes. Il y a tout de même, de temps en temps, des études qui sont faites spécifiquement sur ce sujet et donnent une idée des montants en jeu.

Ainsi, en 1997, l’étude de Kopp et Palle, deux économistes, au terme de prudents calculs, arrivaient à un montant de 4,72 milliards de francs dépensés par les administrations en 1995. Pour information, cela représente 937 millions d’euros de 2011 en tenant compte de l’inflation. En 2003, le même Kopp a fait équipe avec Philippe Fenoglio et ils ont réactualisé ces données. Le chiffre total s’établit à 1,16 milliards d’euros de 2003 (dont environ 300 millions consacrés à la seule arrestation de 80.000 personnes), soit 1.35 milliards de 2011. Le constat, même s’il est parcellaire et réalisé sur des données difficiles à collecter, reste valide : la lutte contre la drogue, en France, coûte une fortune de façon directe et les budgets alloués sont en constante augmentation. Parallèlement comme on l’a vu ci-dessous, les prises restent, elles, cantonnées aux mêmes chiffres. Parallèlement, on apprend que Bercy a fait ses petits calculs et découvert que l’Etat gagnerait entre 800 millions et 1 milliards d’euros en cas de dépénalisation du cannabis.

Augmentation des coûts de la répression, aucune influence de cette dernière sur le trafic constaté, est-ce une particularité française ?

Pas vraiment. Au niveau mondial, on a observé, à de multiples reprises, exactement le même schéma : le coût de la prohibition augmente régulièrement, le bénéfice des dealers s’envole d’autant, les coûts pour la société grimpent, et la consommation ne diminue pas. Un rapport demandé par la Commission Européenne à des experts indépendants, sur la période allant de 1998 à 2007, aboutit là encore à la même conclusion : « Aucun élément ne fait apparaître une diminution du problème mondial de la drogue sur la période allant de 1998 à 2007 et ce malgré l’intensification des politiques de lutte anti-drogue. » Alors que les producteurs et les revendeurs sont sévèrement punis, « les prix des drogues ont chuté de pas moins de 10 à 30 % depuis 1998″, et « aucun élément ne donne à penser que qu’il est plus difficile de se procurer de la drogue », souligne le rapport.

Aux Etats-Unis, la guerre contre la drogue ne donne que des résultats franchement mitigés, et la situation en devient même caricaturale si l’on s’en tient à ce genre de graphiques, parfaitement illustratifs :

war on drugs in America

A contrario, il est intéressant de noter qu’il y a des pays qui ont dépénalisé la drogue, et ce depuis suffisamment longtemps pour qu’un bilan puisse être dressé. Ainsi, l’accès légal aux Coffee shops du Pays-Bas ou la décriminalisation des drogues au Portugal depuis plus de 10 ans auront permis de voir deux choses : d’une part, la société ne s’est pas effondrée sous le poids de ses drogués, toute la population ne basculant pas dans l’addiction et les paradis artificiels. D’autre part, les sommes économisées en matière de lutte contre le trafic ont pu être utilisées pour l’accompagnement des drogués et l’amélioration des conditions de leur suivi médical ainsi que des opérations de prévention et de cures de désintoxication. L’expérience portugaise a en outre montré que le traitement de la toxicomanie comme un problème de santé, et pas comme une infraction pénale, est plus efficace que la prison pour détourner les toxicomanes de la consommation de drogue.

Si l’on ajoute ce bilan positif des expériences tentées, avec celui, largement négatif, de la prohibition, si l’on tient compte dans l’ensemble du tableau des effets de bord sur la société de cette prohibition (apparition de réseaux mafieux, violence, explosion carcérale, hausse des prix, corruption policière, puis politique, …) , si, enfin, on se rappelle que la crise qui secoue l’Europe fournit une raison en béton armé pour réévaluer les politiques publiques à l’aune de leur efficacité, comme ce fut le cas en Grèce, à ce sujet, l’année dernière, on comprend que la question de la dépénalisation des drogues mérite largement plus que les hésitations grotesques d’un premier ministre incompétent et les balbutiements pénibles d’un président de la république arrivé là sur un malentendu.

Qu’on soit pour ou contre la prohibition de la drogue, lorsque les moyens financiers viennent à s’épuiser et que les résultats observés sont à la fois catastrophiques et inverse de ceux qu’on attendait, il faut savoir arrêter les frais. La France n’a plus les moyens de continuer ce type de lutte contre la drogue.

Peut-être cette lutte n’est d’ailleurs pas la meilleure façon de procéder. Peut-être est-ce même la pire ?



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