Le déjeuner de Pâques en Bresse Bourguignonne :
Opéra en trois actes avec ouverture, intermède et final
[après jambon persillé, truite et gigot … salades, fromages et desserts !]
par Chambolle
par Chambolle
C’est pourquoi, vous avez tout préparé pour, qu’après le gigot, arrivent immédiatement sur la table trois salades différentes. Pourquoi trois ? Parce que, comme la France de Braudel, la salade et sa sauce se nomment diversité et qu’il n’y a aucune raison de ne pas en profiter. La laitue d’hiver est croquante à point, rien ne lui va mieux qu’une simple vinaigrette. La mâche qui mérite bien son surnom de doucette s’accommode d’une sauce teintée d’huile de noix et relevée d’un soupçon d’ail. Quant aux solides pissenlits, vous les aurez attendris en les assaisonnant à l’avance d’un mélange mi-parti huile et vinaigre. Il suffit à ce trio de paraître et une joyeuse animation fait oublier à l’un le ragot qu’il s’apprêtait à débiter sur les frasques présidentielles, ce qui n’aurait pas manqué d’ouvrir les hostilités entre Elisabeth et Denis, et à l’autre sa question sur la fiabilité des guides touaregs après laquelle il est certain que, sous la conduite de votre sœur, vous auriez entamé une longue traversée du désert. Au lieu de cela, l’autre remue la mâche et l’un fatigue la laitue. Vous vous êtes réservé les pissenlits sur lesquels vous faites tomber une poêlée de lardon frits dans une huile de bonne tenue. Résultat : jets de vapeurs, exclamations diverses et rappels du temps passé quand, dans les prés au bord de la Saône, vous alliez, sous la conduite paternelle, cueillir les pieds de dents-de-lion en sélectionnant ceux qui poussaient dans les taupinières (ils sont plus tendres). Ensuite chacun choisit, ou ne choisit pas, sa salade qu’il arrosera d’eau fraîche et pure. Alors la conversation repartant sur de nouveaux frais vous êtes tranquille jusqu’au dessert et même au-delà.
La salade a fait son office, aux fromages de remplir le leur. Comme votre boucher, votre crémier est sans reproche. Il vous a donc vendu un quatuor ou un quintette dont vous n’aurez pas à rougir. La saison étant ce qu’elle est, parions pour un coulommiers, un bleu de Septmoncel ou de Gex, un Laguiole et un Beaufort. Pour moi, et bien qu’il ne soit pas encore en son meilleur, j’y ajouterai une jatte de fromage blanc accommodé comme en Bresse. Du bon fromage blanc point mollasson, le quart de son poids en crème fraîche, un peu de vin blanc, un peu d’huile, du persil plat (beaucoup), des cives et de la ciboulette (assez), de l’estragon (une pointe), des pousses d’échalotes (à vous de voir) et une gousse d’ail nouveau. L’ordre des opérations est le suivant :
Hachez finement les herbes et l’ail puis battez vigoureusement le fromage égoutté au préalable, si nécessaire. Quand il est lisse, y ajouter, en fouettant toujours, la crème, le vin, le vinaigre, l’huile et les herbes, du sel et du poivre. Mettez au frais au moins deux heures. Je sais parfaitement que ce genre de gâterie se consomme de préférence au goûter (en Bresse on dit « Pou vêprô), mais il n’est jamais interdit de se faire plaisir. De surcroît c’est là une manière de célébrer nos ancêtres les Burgondes dont cette chochotte de Sidoine Apollinaire prétendait qu’ils sentaient un peu trop fort l’ail et l’oignon. Les bouteilles de Saint Julien sont toujours là. Au besoin d’autres attendent, postées sur le buffet familial. Chacun peut choisir le pain de son goût. Vous avez rempli une corbeille des dernières noix de la saison. Orné d’un coq proclamant qu’il veille sur la nation, le plateau de fromages passe de main en main. Il est suivi de la jatte de fromage blanc. Elisabeth et Denis élisent Septmoncel et Laguiole. Votre sœur taille dans le coulommiers un coin qui a la forme d’une tente touareg. Son mari, les yeux mi-clos, médite sur la délicatesse du Beaufort. Votre gendre, fils, comme vous, de la plaine de la Saône se confectionne une épaisse tartine de fromage blanc. Vous le regardez faire sans impatience : il en restera assez pour vous.
Que diriez-vous d’une grande jatte de mousse au chocolat réalisée dans les règles de l’art (chocolat noir, œufs –un blanc pour 40 g de chocolat et un jaune de moins qu’il n’y a de blancs– , beurre 30 à 40% du poids du chocolat- le tout très frais, très peu de sucre et une pincée de sel) que vous accompagnerez de brioches tiédies au four et d’un saladier de fraises de Provence (elles sont excellentes cette année à condition de ne pas les noyer d’eau). Je crois me souvenir, mais je peux me tromper, que nos fraisiers sont le produit d’un métissage entre des plants venus d’Amérique et les fraises indigènes. Cette origine commune expliquerait l’accord entre nos garriguettes et le produit du
cacaoyer. Quant à la brioche dont, depuis Marie-Antoinette, la réputation n’est plus à faire, elle enveloppe de sa douceur feutrée ce que la fraise à de trop acide et le chocolat de trop amer. Pour arroser le tout, et si l’eau ne vous convient pas, sacrifiez quelques bouteilles d’un champagne brut mais non brutal (c’est l’occasion de montrer à votre descendance comment un véritable amateur sait ouvrir un flacon de cette pétillante boisson, et de démontrer, par la même occasion, que votre gendre a encore beaucoup à apprendre). Levez votre verre au printemps et à la jeunesse. Contemplez, avec l’attendrissement qui convient, les traces qui machurent (en Bressan dans le texte) les joues de vos petits-enfants. Appréciez qu’Elisabeth convienne que Ségolène n’a rien d’un tribun pendant que Denis reconnaît que Nicolas est un peu trop imprévisible. Promettez, dans des termes assez généraux pour autoriser une prudente retraite, d’accompagner sœur et beau-frère dans leur prochain treck. Enfin, l’œil légèrement embué par une émotion bien compréhensible buvez une gorgée de champagne avant de croquer une fraise préalablement trempée dans le chocolat le tout accompagné d’une bouchée de brioche. Dehors, la pluie a momentanément cessé de tomber. Le soleil risque un rayon. C’est juste une lueur, un instant. Il ne durera pas, mais il a existé et c’est déjà beaucoup.
son terme. Vous faites mine de vous lever, mais votre fille vous a devancé et c’est elle qui verse dans les tasses votre arabica préféré. Vous le sirotez à petites gorgées non sans rire intérieurement de la mine de votre beau-frère contraint de partager avec sa femme une tisane à la fois biologique, artisanale et traditionnelle ramenée d’Amazonie ou d’Afrique centrale (vous ne savez plus très bien) dont votre sœur, qui en a toujours sur elle une pochette remplie, vante, sans aucun succès les nombreux mérites. Prévoyant, vous avez disposé sur la table basse des flacons que la Faculté condamne et que le Ministère de la santé, les Caisses de Sécurité sociale et les ligues antialcooliques poursuivent de leur vindicte. Il y a là, une vieille prune offerte par votre parrain, un Calvados ramené d’un séjour dans le Cotentin, un Armagnac cadeau de votre ami Robert et cette bouteille de Mirabelle qui est tout ce qui vous reste de la cave paternelle. Décidé jusqu’au bout à sacrifier aux usages, vous avez eu soin de préparer « du doux pour les dames » sous la forme de cerises en bocaux, d’une eau de coing en provenance directe de votre terre natale et d’une liqueur de Cassis dont la recette a été découpée dans un numéro, datant de 1931, de Lisette, publication catholique destinée aux jeunes filles de bien avant Vatican II. Respectueux du code de la route et soucieux de ne pas contribuer à l’aggravation de l’insécurité routière, vous interdisez la consommation de ces liquides à celles et ceux qui devront conduire. Les autres sont libres de leur choix. Que l’on préfère un esprit pour déterger ou une huile pour adoucir, la valeur d’un dé à coudre suffira bien terminer l’aventure de ce déjeuner de Pâques auquel, en dégustant l’ultime gorgée de la prune de mon parrain, que je mets, ici, point final.