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La B.D. fait son cinéma (5)

Publié le 19 octobre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Avant-hier sortait Astérix et Obélix au service de sa majesté, l’occasion idéale pour parler une nouvelle fois des rapports qu’entretiennent la B.D. et le cinéma. Je vous propose que nous terminions ce petit tour d’horizon du sujet avec quelques anecdotes sur le sujet. Saviez-vous que…

Quand il fut question de faire appel aux animateurs américains en vue d’une nouvelle adaptation en dessins animés des aventures de Tintin, Hergé eut une bien mauvaise surprise en recevant les croquis des animateurs : ils leur avaient fait un Tintin bodybuildé avec un grand T sur le torse… Pour reprendre les choses en main, Hergé partit en Amérique, emportant dans ses bagages Greg, alors rédacteur en chef du journal Tintin, qui saisit l’occasion pour essayer d’exporter la bande dessiné européenne en Amérique, un des rares échecs de sa carrière ; Greg écrivit finalement le scénario de Tintin et le lac aux requins, une consolation pour le scénariste dont Hergé renonça à dessiner les deux scénarios, Tintin et le thermozéro et Tintin et les pilules.

La B.D. fait son cinéma (5)

Greg s’était inspiré (très librement) de ses propres traits pour camper le voisin d’Achille Talon, le bien nommé Lefuneste. Dans les années 1960, le créateur et la créature avait un air de famille si convaincant que la télévision française fit directement appel à Greg pour interpréter Lefuneste ! Paul Mercey jouait le brave et honnête Achille tandis que la sémillante Virgule étaiti interprétée par la non moins sémillante Rosy Varte. À noter que durant ces derniers jours, la silhouette de Greg s’était arrondie au point de le faire ressembler à Achille : comme quoi Henri Monnier, le créateur de Monsieur Prud’homme, n’a pas été le seul à se faire bouffer par son personnage… Pour revenir à notre sujet, la seule adaptation un tant soi peu réussie d’Achille Talon en dessin animé à ce jour est une publicité québecoise pour vanter les services des notaires ; on est bien peu de choses, n’est-ce pas ?

Peu de gens s’en souviennent, mais il y a eu un film inspiré des exploits de Gaston Lagaffe ; cependant, Franquin, éternel modeste, avait accepté, par sympathie envers l’équipe du film, que l’on s’inspire de ses gags mais avait mis son véto pour l’utilisation des noms : il regrettait même que l’équipe, dirigée par Paul Boujenah (oui, le frère de Michel), ait excessivement essayé de « coller » à l’original ! Les personnages furent assez imbécilement renommés (Gaston ne s’appelle plus que « G » !) et Franquin reconnaissait lui-même que ce n’était pas une réussite, ce qui, soit dit en passant, le laissait indifférent…

La B.D. fait son cinéma (5)

Le premier dessin animé inspiré des aventures d’Astérix, Astérix le gaulois, avait été produit par les studios Belvision sans même que la doublette magique Uderzo-Goscinny en aient été seulement informée ! Déçu du résultat, Goscinny mettra son véto à la continuation de l’adaptation de La serpe d’or, qui était en préparation, et préférera adapter lui-même Astérix et Cléopâtre. Le grand René eut d’ailleurs des rapports assez conflictuels avec le monde du cinéma : ayant envoyé un scénario à Peter Sellers, il ne reçut jamais de réponse mais eut la mauvaise surprise de voir son scénario réutilisé presque mot pour mot sans son accord. Victime d’une pratique malheureusement courante, il déposa une plainte qui fut retirée après sa mort.

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Hergé ne fut pas le seul à avoir des problèmes avec les Américains : vous savez probablement que les producteurs américains de la première série animée autour des exploits de Lucky Luke ont contraint Morris à remplacer la cigarette de Lucky Luke par un brin de paille ; on sait moins que la loi américaine l’a également forcé à supprimer un certain nombre de stéréotypes, comme les chinois qui sont cuisiniers ou blanchisseurs, les mexicains paresseux qui font tout le temps la sieste, ou les indiens qui parlent petit nègre – Morris a d’ailleurs profité de cette dernière exigence pour introduire un gag en faisant parler un amérindien dans l’anglais très pur d’Oxford ! Un producteur trop zêlé a même suggéré d’éliminer les croque-morts de la série ! Il n’en a heureusement rien été…

La B.D. fait son cinéma (5)

Peyo fut également victime de l’Amérique puritaine : quand les studios Hanna.-Barbera entreprirent d’adapter les Schtroumpfs pour la télévision, le créateur des petits lutins bleus a été privé d’un de ses défouloirs favoris, à savoir assommer ce casse-schtroumfs de schtroumpf à lunettes à coup de maillet, les producteurs craignant de donner un mauvais exemple aux enfants ! Il est vrai qu’aux États-Unis, les gens ont le procès facile, et il aurait suffi qu’un mioche donne un coup de mailler à sa jeune sœur pour que les studios se retrouvent devant les tribunaux… Autre source de conflit, l’apparence des personnages : les animateurs américains craignaient que les enfants ne s’y retrouvent pas si tous les schtroumpfs se ressemblaient et voulaient donc absolument donner une tenue spécifique à chacun d’eux ; Peyo a dû refuser des tombereaux de croquis ! Côté scénario, ce n’était pas mieux : les scénaristes ne pouvaient pas s’empêcher d’écrire des histoires où l’argent était le moteur de l’intrigue, et Peyo d’expliquer de moins en moins patiemment que l’argent n’existait pas les schtroumpfs. De façon générale, Peyo s’est toujours fermement opposé une américanisation trop évidente de ses personnages et quand il clamait que ses schtroumpfs ne jouaient pas au base-ball et ne buvaient pas de coca-cola, il ajoutait, voyant l’œil noir de ses interlocuteurs « mais ils ne boivent pas de vodka non plus ! » Et ça les tranquillisait…

Coluche s’était proposé pour interpréter Superdupont au cinéma : Lob et Gotlib refusèrent, le célèbre comique étant trop jeune et pas assez costaud pour ressembler de façon convaincante au super-héros 100% français. Il n’y eut pas de film Superdupont mais une comédie musicale montée par Jérôme Savary est son Grand magic circus, avec notamment Alice Sapritch.

Les Bidochon ont fait l’objet d’une adaptation au cinéma avec Jean-François Stévenin et Anémone mais aussi de quelques adaptations théâtrales ; la toute première d’entre elles fut marquante pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec l’adaptation : l’équipe de Fluide Glacial s’était déplacée au grand complet pour assister à la première représentation mais s’est perdue dans les dédales des rues de la cité où se trouvait le théâtre ! Après moult pérégrinations, ils arrivèrent enfin sur les lieux, faisant démarrer la représentation à une heure impossible… Ça ne s’invente pas !

Lorsque Canal+ proposa à Gotlib de créer une série animée pour la chaîne cryptée, le génial créateur de la Rubrique-à-brac sauta sur l’occasion pour réaliser son rêve d’enfant, faire du dessin animé : l’idée s’imposa assez rapidement de faire intervenir la fameuse coccinelle dans des images connues du grand public. Gotlib proposa d’abord les plus céléèbres scènes de cinéma puis les photographies les plus connues : ces deux premières idées furent refusées à cause des problèmes de droit d’auteur, et c’est donc finalement sur les œuvres d’art que la coccinelle s’anima, donnant lieu à une série à mi-chemin entre les montages de Terry Gilliam et les cartoons de Tex Avery.

La B.D. fait son cinéma (5)

Patrice Leconte avait été pressenti pour la réalisation de l’adaptation de L’enquête corse de Pétillon ; il refusa pour une raison simple : à ses yeux, seul Jacques Villeret (et surtout pas Christian Clavier !) pouvait jouer le rôle de Jack Palmer, mais le comédien venait justement de mourir… Ceci pour dire que le succès facile promis par l’adaptation d’une B.D. n’attire pas nécessairement un cinéaste : le duo Delépine-Kervern se refuse ouvertement à tout projet de ce type, même s’il s’agissait de Superdupont. À noter que les grolandais ont tourné un sketch dans lequel Francis Kuntz joue un producteur rachetant les droits des Pieds nickelés afin de dénoncer la confiance aveugle que certains cinéastes ont envers le filon de la bande dessinée.

La B.D. fait son cinéma (5)

Le regretté Louis de Funès s’était proposé pour interpréter Astérix…sans moustaches ! Inutile de demande pourquoi ça ne s’est pas fait ! À l’origine, c’est Daniel Auteuil qui aurait dû jouer le petit gaulois dans le film de Claude Zidi sorti en 1999 ; comme il n’était pas disponible, c’est finalement Christian Clavier qui a obtenu le rôle. Claude Zidi avait également demandé à Uderzo quel était le pedigree d’Idéfix ; le dessinateur répondit qu’il n’en savait rien : « tout ce que je peux dire, c’est que j’ai dessiné un chien ! » dit le grand dessinateur. Idéfix pose d’ailleurs beaucoup de problèmes aux réalisateurs car les petits chiens blancs à poils longs et aux oreilles à bouts noirs se raréfient, paraît-il. Uderzo n’a jamais manifesté pour le cinéma le même intérêt que son défunt ami Goscinny, ce qui ne l’a pas empêché de mettre son véto à l’adaptation d’Asterix en Hispanie par Gérard Jugnot : le scénario prévoyait des prostituées dans le village et, de façon générale, si la greffe de l’humour d’Alain Chabat sur l’humour goscinnien avait bien pris, il n’en allait pas de même avec l’humour du Splendid ; c’est donc finalement Thomas Langmann qui prit en charge la réalisation du troisième film Astérix, avec la réussite que l’on connait, hélas : Uderzo lui-même reconnait à propos de ce film qu’ « il n’y a rien dans l’album qui s’en rapproche » !

La B.D. fait son cinéma (5)

Une dernière chose, tiens : une des images les plus drôle d’Astérix et Cléopâtre est celle où Obélix fait remarquer à l’esclave chargé de couvrir d’or (au sens propre !) Numérobis qu’il « en reste un bout » ! On ne retrouve pas ce gag dans le film d’Alain Chabat, le réalisateur n’ayant pas réussi à trouver l’attitude adéquate pour l’esclave… Allez, salut les poteaux !

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