Je ne pouvais manquer d’ouvrir pareil titre aperçu sur Google Info "Je gagne 70.000 euros, vous êtes au Smic, fermez votre gueule" (Nouvel Obs 18 oct. 2012) me demandant juste qui pouvait être le parfait connard qui avait proféré une telle insanité. L’incident - une altercation opposant un usager de la SNCF se prétendant cadre chez Orange avec une employée de la SNCF qui osa lui demander de parler moins fort au téléphone - il engueulait une personne - dans le hall de la gare de Viroflay Rive gauche (Hauts-de-Seine) - me semble tout a fait emblématique du mépris dans lequel ces nantis tiennent le vulgum pecus.
Valentin Reverdi, un collégien de 15 ans (par ailleurs jeune rédacteur en chef du blog Scoop Book dont il dit qu’il est plutôt confidentiel… plus pour longtemps !) s’est servi de son téléphone pour enregistrer la scène qu‘il a posté sur Youtube - hélas, uniquement le son…, la caméra étant dirigée vers le sol. Nous ne connaîtrons donc pas la tronche de ce malotru ce qui aurait pu sans doute permettre de l’identifier et de placarder partout de belles affiches « wanted » comme dans les westerns. Il raconte la scène pour le Nouvel Obs Vidéo d'un agent SNCF insulté : c'est moi qui ai filmé, c'était impressionnant (18 oct. 2012).
Il est supposé être un cadre d’Orange car il s’est vanté de se rendre tous les mois à Saint-Domingue pour l’opérateur de téléphonie. Si celui-ci veut s’en donner la peine et s’il appartient effectivement à l’encadrement d’Orange, l’individu est facilement identifiable puisqu’on l’entend distinctement affirmer qu’il passe tous les week-end chez lui, à la Baule.
Il commence à justifier sa colère bruyante au téléphone en affirmant qu’il engueulait « un fonctionnaire qui ne fait pas son travail » et qu’il est parmi ceux qui vont « se casser » car ne supportant plus de donner 10.000 euros pour engraisser les fonctionnaires. « Si vous aviez pas de gens comme moi à payer 10 000 euros d'impôts, vous n'auriez pas votre salaire, vous feriez quoi ? »…
S’il était moins borné et mieux informé il saurait que si la SNCF est bien un service public, ce n’est pas une administration et qu’en conséquence ses salariés ne sont pas des fonctionnaires et ne sont donc pas rétribués sur le budget de l’Etat mais uniquement par celui de leur entreprise - et donc les usagers - comme n’importe quel salarié du privé. Qu’il paye ou non ses 10.000 € d’impôt n’y changera rien du tout. Comme tous ceux qui ne comptent vraiment plus comme nous, il ne parle et d’abondance que de « 70 KO » (debout ?). Un gargarisme comme un autre.
Au demeurant, il doit avoir une sacrée combine pour ne payer que 10.000 € en déclarant en revenu de70.000 € ! Ma calculette m’indique en effet que cela correspond à même pas 15 %. Autrement dit, selon le barème, il est imposable comme un salarié des classes (très) moyennes. Il ose encore se plaindre !
A l’écouter, il ne respecte pas plus les fonctionnaires français que « les gens Français » en général « qui ne savent pas travailler ». Il moque « le salaire de merde » de l’employée de la SNCF « qui se fait chier »… Ce qu’elle conteste. Pourquoi n’aurait-elle pas le droit d’aimer son travail nonobstant le montant du salaire ? Cela n’effleure même pas son cerveau reptilien.
Un peu plus tard, il l’entreprendra sur la maigre retraite qu’elle peut espérer alors que comme la plupart des Français elle se plaindra de la baisse de son pouvoir d’achat. Il se vante de lui « piquer son argent » si elle est cliente chez Orange. Merci, m’sieur. Moi aussi, je suis cliente de la boîte qui vous emploie et j’apprécie fort peu que ma maigrelette retraite servît à engraisser un tel porc
Affirmant une fois de plus qu’il « se casse » - contrairement à ce que j’ai pu lire, je ne l’ai pas entendu parler de la Suisse, sauf pour dire qu’il respecte les Suisses. Est-ce à dire qu’il va y demander « l’asile fiscal » ? Peut-être un jour nos amis helvètes en auront-ils marre de recevoir tous nos étrons, fussent-ils dorés sur tranche. Surtout d’une éducation si parfaite puisque l’enregistrement se termine par un « bon allez pauvre connasse, je me casse »…
Mais assurément le clou - il aurait 51 ans selon ses dires - c’est cette apostrophe « je suis supérieur à vous parce que vous allez crever ».
A moins que dans son délire mégalomaniaque il n’imaginât être doté de la vie éternelle, c’est à terme le sort qui atteint à plus ou moins brève échéance tous les humains. Il finira au fond d’un trou ou en cendres… s’il avait quelque culture ou un tout petit peu de religion, il méditerait cette injonction divine : « Tu es poussière et tu retourneras dans la poussière » (Genèse 3,19). De quoi lui rabaisser le caquet et ses prétentions.
Si la logique des âges devait être respectée, l’agente commerciale de Viroflay - âgée d’une quarantaine d’années - devrait lui survivre d’autant que d’après toutes les études démographiques les femmes vivent plus longtemps que les hommes. En outre, elle préserve son « capital santé » : je ne sais comment elle fit pour rester aussi courtoise et zen face à lui. S’il vit en permanence dans un tel état d’hystérie colérique il risque fort un infarctus ou un AVC. De quoi hâter son trépas. A quoi lui serviront ses « 70 ko » quand il frappera à la porte de Saint-Pierre ? Les comptes qu’il devra rendre seront autrement salés. Voire « chauds bouillants » en enfer !
J’en reviens pour terminer au jeune Valentin Reverdi. Je suis stupéfaite par la qualité de sa réflexion, assez surprenante pour un collégien de 15 ans. « Cette vidéo me paraît vraiment intéressante parce qu'on parle beaucoup de suicides lié au travail, chez les fonctionnaires mais aussi à France Télécom (…) C'est impressionnant et violent d'entendre quelqu'un s'adresser ainsi à une agente, avec un tel mépris, juste pour une différence sociale. C'est vraiment lourd de sens ».
Avec mes 50 ans de plus, je ne saurais mieux dire. Il y a tout juste trois ans j’avais décerné le prix citron à Didier Lombard, alors PDG d’Orange (7 oct. 2009) pour l’ensemble de son œuvre en tant que manager de cette entreprise « barbare » et ce qu’il avait osé appeler « la mode des suicides » parmi les salariés - stressés ou plutôt « pressés » comme des citrons - d’Orange.