Lorsque nous habitions la Vendée au début des années soixante-dix, nous avions été surpris de constater combien le traumatisme des guerres entre les Blancs et les Bleus était encore vivace, comment la mémoire de certains massacres était encore fraiche. Nous avons alors beaucoup lu sur cette guerre civile, terminée – selon l’auteur - en forme de génocide, et sur les chefs de la rébellion comme sur les généraux républicains appelés en renfort pour la mater. Nous avons naturellement aussi rencontré Philippe de Villiers. Très vite, il présenta des dispositions extraordinaires pour la communication populaire et pour la mise en scène de l’histoire, en « inventant » le concept du Puy du Fou … une référence en Europe dont le succès ne se dément pas, quarante ans après.
Bien que je ne partage pas du tout ses positions politiques, je ne peux m’empêcher de lui reconnaître un fameux talent de conteur, qu’il démontre dans ce roman « autobiographique » dédié à François Athanase Charette de la Contrie. Et le premier intérêt de l’ouvrage, c’est de nous raconter la carrière du jeune Charrette avant son engagement à la tête des paysans vendéens, et tout particulièrement dans la Marine Royale, dans les combats aux côtés des Insurgents d’Amérique.
Parlons du style : juste assez maniéré pour donner l’illusion de la langue noble du XVIIIème siècle, mais alerte et précis. Avec des tics de langage cependant : celui qui consiste à doubler une image ou un terme dans la même phrase : « ( ) où il n’y avait pas d’autre espèce de crédit que le crédit en espèces (p. 235) », pour n’en citer qu’un exemple. A la longue, ça agace.
J’ai cependant apprécié la tournure très vendéenne consistant à transformer en verbe un substantif : « bruiner » pour dire mouiller légèrement par exemple (p. 238), que j’avais remarquée auprès de vrais natifs de la Vendée. En revanche, les descriptions de batailles, navales ou terrestres, sont très parlantes, les images convaincantes. Et la documentation – dix pages de bibliographie – foisonnante. Pourtant, le livre se lit comme un livre d’aventures et j’y ai retrouvé le même plaisir que lorsque je lisais jadis un roman sur le même sujet, écrit lui aussi par un homme politique vendéen « Quand flambait le bocage » de Philippe Mestre.
C’est un livre où l’on apprend beaucoup de choses sur une l’époque charnière des derniers temps de la monarchie et du Siècle des Lumières, puis les soubresauts de la Révolution, vue de la province et depuis le microcosme d’une académie de marine. L’ambiance du Brest de l’époque est parfaitement rendue. Ensuite, les combats des guerres de Vendée et les exactions des deux côtés – il arrive aussi à un lieutenant de Charrette de liquider des prisonniers - décrits de manière réaliste et actuelle. La ruse utilisée pour s’échapper du piège de Noirmoutier en sautant par-dessus les étiers et les tentes des bleus à l’aide de longues perches est savoureuse. L’auteur se place du côté du chevalier Charette, certes, il rappelle les atrocités commises par la répression, la politique d’anéantissement de la totalité de la population considérée comme tous « brigands », même les femmes et les enfants, l’une des propositions (comme ce fut le cas, des lustres plus tard, chez les nazis) consistant en la « déportation des Vendéens à Madagascar. »
« Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais. », telle était la devise de Charette. Et là est sans doute la clé de cet ouvrage de Philippe de Villiers, qui s’identifie insensiblement à son héros. Ce livre lui fera-t-il recouvrer la faveur des foules ? Je le lui souhaite.
Le roman de Charrette, par Philippe de Villiers, chez Albin Michel, 475 p. 22€