J'ai invalidé mon bulletin. Après des années d’abstentionnisme j’ai décidé cette fois de participer à un vote qui ne changera absolument rien dans cette parodie de démocratie.
Par Yoani Sanchez, depuis La Havane, Cuba.
Du carrelage aux murs, un rideau doublé de toile verte et une table métallique sur laquelle on trouve normalement des seringues et du coton. Voilà à quoi ressemblait l’isoloir où j’ai voté ce matin pour élire le délégué à l’Assemblée Municipale du Pouvoir Populaire. Situé dans un cabinet médical qui a servi ce dimanche de bureau de vote pour les habitants du quartier. « Prémonitoire » me dis-je de me trouver seule avec mon bulletin à côté du grand évier où on lave les instruments médicaux. « Prémonitoire » parce que mon pays se trouve dans un « coma » léthargique et apathique, et va avoir besoin d’une réanimation drastique – presque une défibrillation- si l’on veut que les citoyens accèdent à un véritable pouvoir de décision. Depuis 36 ans qu’il existe, le système électoral en vigueur ne nous a en aucune occasion convaincu de la représentativité du peuple face au pouvoir, c’est plutôt tout le contraire à quoi nous avons été habitués.C’est pourquoi, entre l’odeur du formol et sous la surveillance d’un brancard, j’ai invalidé mon bulletin. Après des années d’abstentionnisme j’ai décidé cette fois de participer à un vote qui ne changerait absolument rien. Aucun des délégués sorti des urnes ne pourra avoir la moindre influence sur les sujets les plus brûlants de notre actualité. Nous ne savons pas non plus ce que sont leurs vues sur les grands problèmes quotidiens, puisque le code électoral nous permet seulement de voir leur biographie et leur photo. De sorte qu’aujourd’hui nous sommes appelés à choisir entre deux visages, entre deux noms, entre deux CV… C’est la raison pour laquelle plusieurs voisins et amis, qui savent bien la futilité qu’il y a à remplir le bulletin, ont choisi de s’abstenir. Mais moi je voulais fouiller davantage, réexaminer l’absence de sens d’une fonction qui ne peut rien décider, rien changer, rien impulser.
J’ai d’abord écrit la lettre « D ». Enorme, comme un appel sans voix, j’ai dessiné la première lettre d’un concept ardemment revendiqué : la « Démocratie ». Et je l’ai fait dans un décor clinique qui cadrait métaphoriquement avec mon geste d’invalidation, dans l’urgence qu’exigent les diverses couches du Pouvoir Populaire dans ce pays. Une chirurgie profonde, une extirpation radicale de la docilité de l’Assemblée Nationale, un électrochoc de liberté pour que les parlementaires arrêtent de tout approuver à l’unanimité et d’applaudir à tout moment. Nous allons avoir besoin de renaître en tant que société et commencer à nous comporter en ce sens.
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Sur le web - Traduction Jean-Claude Marouby.