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Cher Pays, je t'en supplie.

Par Jeuneanecdotique

lettre

 

Cher Président, cher Pays, cher je ne sais pas qui,


Je ne vous hais pas. Je ne hais personne. Je ne pense pas qu'être de droite ou de gauche rende con. Non, non.

Mais, là, je suis en colère. Et si ce n'est pas votre faute, je ne comprends pas que ça vous paraisse acceptable.

J'aime un homme formidable. Il a fait des études, il a intégré une école de jeux-vidéos après son BTS et s'est finalement retrouvé à rembourser son unique année d'école jusqu'à ses 30 ans à cause d'une foutue banque qui a jugé opportun de le prévenir que sa demande de prêt avait été refusée « seulement » six mois après le début des cours. Il n'a pour le moment jamais pu vivre de ses études d'informatique et s'est retrouvé à creuser ses cernes en faisant le boulot ingrat du surveillant de lycée dans une ZEP, payé au lance-pierre, avec des conditions de travail moralement épuisantes et physiquement inacceptables en raison du manque d'effectifs qui l'obligeait à faire deux fois plus de boulot que nécessaire, sans parler du personnel incompétent qui l'obligeait à toujours repasser derrière histoire de ne pas se faire engueuler.

Bref, il n'a pas eu de chance. En même temps, n'est-ce pas qu'une question de chance ? Une banque égoïste, débile, imbécile, qui a foutu en l'air sa vie financière jusqu'à ses trente ans, et une vie professionnelle tellement irrégulière en raison de patrons véreux et de boulots rares, qu'il vit encore chez sa mère.

Non, ce n'est pas juste.

Mais l'année dernière, une petite lumière s'est profilée au bout du tunnel. On lui a proposé un boulot de professeur contractuel en GSI. Un programme qu'il connaît par cœur, si bien qu'il a permis à des élèves de Terminale, l'année dernière, de rattraper leur retard en moins de deux mois et de leur faire avoir leur bac. Des élèves se sont regroupés, le jour des résultats, pour le remercier, dire que sans lui ils auraient tout loupé. Vous voyez, ce n'est pas un nul, hein. Il a tellement été dans la merde financièrement jusqu'à maintenant, que cette proposition de professeur a été l'opportunité à saisir. On s'imaginait déjà, ensemble, pouvant enfin vivre d'un salaire convenable, en amoureux. On s'imaginait qu'en plus de faire un boulot qu'il aime, vu qu'il serait de l’Éducation Nationale, il serait bien payé. Vous pensez bien qu'on était complètement débiles. Vous le savez sans aucun doute.
L'inspecteur qui l'a jugé apte à enseigner lui a promis minimum 1600 euros de salaire. De quoi vivre.

Il n'a pas été payée avant mi-octobre, ce qui est en soit complètement ahurissant. S'il n'habitait pas chez sa mère, si elle en avait ras-le-cul de héberger, par votre faute, il se serait retrouvé à la rue. Pendant un mois et demi, il a investi de ses sous, s'est mis à découvert pour payer de quoi se déplacer jusqu'aux lycées dans lesquels il bosse. Il tenait bon, en se disant que de toute manière, le salaire arriverait et que ce serait une véritable délivrance.

Ce 28 octobre, son salaire est tombé. Et tous nos projets d'avenir, tous les espoirs que nous nous permettions enfin sont tombés à plat.

L'homme que j'aime est professeur de GSI dans deux lycées, dont un placé en ZEP, on lui a promis un salaire qui lui permettrait de vivre, de s'héberger, d'avoir une existence tout à fait convenable, on lui a fait miroiter un acompte sur son salaire de 1300 euros. On l'a roulé dans la farine. Son salaire complet, en tant que professeur contractuel de l'Euducation Nationale, est équivalent à son salaire de surveillant + 20 euros.

Cela ne choque-t-il que moi ? Mon copain a fait trois années d'études en informatique, il a permis à deux lycées de ne pas se retrouver totalement dans la merde, les professeurs enseignant cette matière se faisant aussi rares que les cassettes VHS, et comment est-il récompensé ? Par un salaire limite similaire à celui d'une femme de ménage. Non, ce n'est pas acceptable. Non, ne soyez pas idiots, c'est totalement normal que les professeurs vous crachent à la gueule et que plus personne ne veuille s'encombrer de ce boulot épuisant qu'est l'enseignement.

Être payé autant qu'un surveillant pour garantir la réussite scolaire des élèves qu'on lui confie, pour assister à des réunions, rencontrer des parents idiots et mal informés, faire des heures supplémentaires à peine payées, perdre des fortunes en essence entre ses deux lycées, se retrouver face à des énergumènes mal élevées et violentes pendant des heures... Non, ce n'est pas normal. C'est une blague. L'homme que j'aime s'est décarcassé pour être prof, et ne gagne toujours pas de quoi vivre. Il voulait partir de chez lui, pour la première fois, habiter dans son propre appartement. A 31 ans, il pensait enfin voir le bout du tunnel. Et à cause de vous, de votre ignorance, de votre égoïsme, de votre logique minable, il se retrouve payé autant qu'à là mauvaise époque, cette sombre époque qu'il pensait révolue.

Il chercherait bien un autre travail. D'ailleurs, il aimerait bien. Mais comment expliquer, à ses recruteurs, qu'il a quitté l'Education Nationale ? Quelle image cela donnera-t-il de lui ? Un homme instable, difficile, pas sérieux, rabat-joie... Ou un homme qui aimerait juste pouvoir, à son âge, enfin vivre sa vie ? Les recruteurs iront au plus simple. Il part avec un handicap. Et dire que depuis Juillet, il aurait pu se chercher un autre boulot, sans avoir à subir cette énième tuile. Vous vous rendez compte du temps que vous lui avez perdre ? Vous vous rendez compte que vous foutez la vie de certaines personnes en l'air avec ces salaires ridicules, en leur faisant miroiter des choses qui n'existent pas ?

Pour avoir ne serait-ce qu'une augmentation de salaire de 200 euros, il faut avoir plus de 12 ans d'ancienneté. Vous croyez réellement que certains vont se dévouer à un boulot, arrêter de vivre et ne manger que des nouilles pendant douze ans pour instruire des jeunes rebelles irrespectueux, pour finalement n'être augmenté que d'une somme totalement dérisoire ?

Je le dis clairement. L'homme que j'aime, et tous les gens dans son cas, méritent bien mieux que ça. Ils méritent bien mieux que vous.

Je suis le genre de personne à me contenter de peu. Lorsque j'aurais un salaire de 1200 euros, je serai très heureuse, pour un début. Mais à son âge, avec ses études, pour un boulot de prof qui n'a rien de facile, dans un lycée où les principaux adjoints se font taper sur la gueule tous les dix du mois, il n'est pas du tout concevable qu'il soit payé de cette manière qui ne lui permet même pas de vivre.
Je ne sais pas, vous n'avez pas le temps de vous en occuper ? Vous trouvez ça normal ? Vous voulez créer des emplois et vous pensez que c'est faisable en payant les gens complètement en dessous de leur mérite ? Vous pensez qu'ils sont idiots ?

J'oserais bien dire un truc très méchant, genre « au lieu de vous faire bien voir en donnant le droit au mariage homosexuel, bougez-vous le cul pour arranger un peu cette précarité dans laquelle certains vivaient avant vous, et dans laquelle ils vivent toujours malgré vous ! ». J'adore les homosexuels, des gens de ma famille le sont, mais ça me dépasse. J'ai comme l'impression que la précarité, les salaires misérables sont devenus la normalité, et qu'on ne peut rien y faire. Quoi qu'on fasse, quoi qu'on décide, la désillusion financière est toujours derrière.

On n'est jamais assez pauvres pour être aidés, et on est jamais assez riches pour pouvoir ne serait-ce que quitter le domicile familial.

C'est la merde, et l'homme que j'aime retombe, une fois de plus, dedans. Pour cette raison, j'ai décidé que l'année prochaine, je reprendrais peut-être des études. Plus j'avance, plus j'ai peur de la précarité, de mon avenir. Je veux offrir à mon homme un avenir correct, l'avenir qu'il mérite, et pour ça je vais faire en sorte d'avoir un bagage, qu'on puisse, ensemble, s'en sortir. Il n'est question que de ça, maintenant : s'en sortir.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus déçus,

Guère cordialement,


JeuneAnecdotique



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