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De la mesure des hommes à la démesure de la justice

Publié le 29 octobre 2012 par Copeau @Contrepoints

Les détournements de deniers publics sont en France un délit. Au Cameroun ils sont un crime.

Par Éric Essono Tsimi, depuis Yaoundé, Cameroun.

De la mesure des hommes à la démesure de la justice

Marafa Hamidou Yaya, condamné à vingt-cinq ans de prison pour détournement de fonds.

François Soudan, éditorialiste à Jeune Afrique, a publié un billet intitulé Mesure et démesure de la justice où il critique la justice camerounaise, plus précisément son jugement dans l'affaire de détournements de fonds publics ayant établi la culpabilité de Marafa Hamidou Yaya, ancien ministre de l'administration territoriale. Il s'en prenait notamment aux peines prononcées.

À quoi pourrait-on comparer François Soudan ?

Les petits Africains sont plutôt habitués aux grandes leçons des Français. Le chroniqueur judiciaire François Soudan est ainsi resté « pantois » devant la sévérité du juge camerounais dans le procès de l’ancien ministre Marafa Hamidou Yaya.

Par suite, on imagine que le jugement rendu à l’encontre de Jérôme Kerviel, dans la terre d’élection de Jeune Afrique, l’a laissé pantelant. Il y a quelque chose d’irrésistiblement loufoque à condamner un chômeur à payer des indemnités de près de cinq milliards d’euros à son ancien employeur. Il s’agit proprement d’une « extrême justice » et donc d’une « extrême injustice », pour reprendre le vocabulaire de l’éditorialiste, paraphrasant lui-même un adage latin (summum jus, summa injuria). Injuste parce que excessive. En vérité, la justice française a rendu l’ancien trader redevable à vie donc esclave de fait de la Société Générale. Cette condamnation est inapplicable, pourtant il convient d’opposer au « summum jus, summa injuria » de l’indigné parisien, le « dura lex sed lex » de la justice universelle.

Entre trop de justice et trop peu de justice, notre religion est faite

S’indigner n’est pas argumenter. François Soudan voulait s’indigner un bon coup, il l’a fait. En estimant par exemple que la justice camerounaise satisfait, par ces jugements, les « frustrations quotidiennes » des Camerounais. Il ne lui est pas venu à l’idée que les souffrances causées par ces détournements de deniers publics, les injustices dont s’étaient rendues coupables les personnalités en cause, avaient pu occasionner des épreuves et des tragédies irréductibles à des « frustrations ».

Dans le jugement que pose François Soudan sur la justice camerounaise, on ne voit émerger qu’une profonde méconnaissance du sujet qu’il aborde et des références qu’il convoque. « Les peines de dix, vingt, trente, quarante ans, voire la perpétuité » qu’il décrie correspondent à l’échelle des peines prévues par le législateur camerounais. Elles sont excessives du point de vue du Français qu’il est, mais correspondent aux dispositions des lois camerounaises qui valent ce qu’elles valent, mais qui sont bien nos lois et doivent être respectées comme telles.

L’erreur judiciaire est humaine, persévérer à croire le contraire est diabolique

On ne peut pas abstraire une loi de son contexte de production. Les détournements de deniers publics sont en France un délit ; au Cameroun ils sont un crime. Il est possible de s’indigner des tendances stagnantes, décalées voire réactionnaires du droit pénal camerounais, en s’étonnant par exemple que le viol ne soit ici qu’un délit, mais c’est le législateur non le juge qu’il faudra interpeller.

C’est l’application de la loi qui fait en sorte que l’on est un état de droit. Et on ne peut pas exciper d’une jurisprudence américaine dans une affaire camerounaise. On ne peut pas comme le fait François Soudan citer ce serpent de mer qu’a été l’affaire Elf, jugée en correctionnelle, pour l’opposer à l’affaire BBJ2 jugée comme un crime au Cameroun, en vertu de nos lois.

Dans un cas, il s’agit essentiellement d’abus de biens sociaux dans un contexte où les politiques ont su s’aménager des lois qui leur soient favorables, dans l’autre de détournements de deniers publics dans un contexte où les élites n’avaient jamais imaginé qu’elles pourraient être inquiétées. La justice ne fait donc pas d’« erreur » qui se contente de dire le droit. Au Canada, qui est un État de droit, la corruption est un crime ; aux États-Unis, en matière d’atteintes à la fortune publique, le cumul des peines donne, lui, souvent lieu à des peines mirobolantes.

Ce n’est donc pas la soif de sang qui est comblée au Cameroun, mais la faim de justice. Cette justice est le symptôme ou peut-être davantage la conséquence d’une dégradation de la morale publique, elle n’en saurait être la cause ou l’origine. Laissez travailler la justice camerounaise, nos magistrats ne sont pas systématiquement des « vengeurs », mais des hommes et des femmes qui la plupart du temps connaissent leur job.


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