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"Grand nu orange" de Nathalie Chaix

Publié le 29 octobre 2012 par Francisrichard @francisrichard

Grand_nu_orange.jpgGrand nu orange, "L'Olympia du XXe siècle" selon le critique Dorval, est le nom d'un tableau de Nicolas de Staël que lui a inspiré son amante Jeanne Mathieu. Sous ce titre Nathalie Chaix, elle, s'est inspirée librement de l'histoire de l'amour impossible entre le peintre et son modèle.

Ce roman ne prétend donc pas à la fidélité historique mais il respecte les noms des personnes, les événements, la chronologie de cet amour adultère, et, certainement, l'esprit dans lequel les deux amants se sont trouvés, pris, dépris, repris, dépris...

L'histoire commence à l'été 1953. Nicolas de Staël et René Char sont amis. Ils sont tous deux des géants, physiquement, et des artistes, géants. L'un est peintre, l'autre poète.

René parle beaucoup à Nicolas, qui est parisien d'adoption, du Sud de la France, dont il est originaire et où sa peinture devrait pouvoir puiser de l'inspiration comme sa poésie à lui s'y est nourrie.

René, qui vit à l'Isle-sur-la-Sorgue, trouve à Lagnes, grâce à ses amis Mathieu, du Lubéron, un lieu de villégiature pour Nicolas et sa famille. Car Nicolas est marié à Françoise et a trois enfants, Anne, d'un premier lit, Laurence et Jérôme, du second. Et Françoise est, à l'époque, enceinte d'un troisième, qui s'appellera Gustave.

La  magnanerie, Lou Roucas, dans laquelle les Staël s'établissent, appartient à Marcelle et Fernand Marthinieu, qui habitent le voisinage, aux Camphoux, avec leurs trois fils Henri, Jean et Lucien. Le Rébanqué, une bergerie rustique, est le repaire de René dans le coin. C'est là que Nicolas rencontre Jeanne pour la première fois.

Comme tous les artistes-peintres, Nicolas a bientôt envie d'un voyage plus au Sud, en Italie. Il emmène avec lui, dans sa camionnette Citroën, ses deux derniers et trois femmes: Françoise et deux amies de René, Ciska que ce dernier a connu pendant la Résistance et Jeanne, mariée à Urbain Mathieu, mère de deux enfants, Jules et Gaspard.

Sans avoir besoin de se dire quoi que ce soit, Nicolas et Jeanne tombent amoureux l'un de l'autre. D'ailleurs ils ne se disent rien au début. Nicolas fait comme si Jeanne n'existait pas. Jeanne fait semblant de rien, mais il lui plaît exactement. Elle jalouse Françoise et son ventre rond, qui lui donne des envies de meurtre. Elle fait alors le premier pas à Fiesole où ils se sont rendus seuls et c'est pour eux deux une "union minérale, florale, animale".

Nicolas renvoie Françoise et ses enfants à Paris. Il veut rester seul pour peindre, en fait pour être près de Jeanne, qui accepte d'être son modèle. Ces amours déplaisent à un René jaloux. Jeanne est la cause de la fin de l'amitié entre les deux géants. Elle est bien consciente que "cet homme, c'est une folie", mais il lui donne de l'égarement qu'elle est venue chercher auprès de lui:

"L'amour emporte tout, balaie les serments, les conventions, les religions."

Aussi Jeanne passe-t-elle par tous les états d'âme:

"Après. Le doute. La peur. Le remords.

Plaisir. Repentir."

Jusqu'au jour où elle se reprend:

"J'ai dit non. Je ne serai pas sa prisonnière,

sa princesse enfermée dans une tour."

Parce qu'il veut qu'elle quitte sa famille pour être entièrement, exclusivement à lui, comme lui quitte la sienne:

"Je ne suis pas à lui. Je ne suis à personne."

Il ne pense qu'à elle. Elle l'obsède. Son amour pour elle le mine. Il se vide sans elle:

"Il s'en veut de n'avoir pas assez de fierté pour mettre un terme à cette aliénation, pour cesser de l'attendre, définitivement."

Pourtant, curieusement, dans le même temps, cet amour l'aiguillonne, décuple ses forces créatrices.

Tout cela ne peut que mal finir. Et cela finit mal.

Dans ce roman à deux voix, celle du récit anonyme et celle, en contrepoint, de Jeanne, que seule une femme du même âge qu'elle pouvait incarner, avec ses mots, avec sa sensibilité, Nathalie Chaix nous raconte une histoire tragique dont l'issue est connue d'avance. Aussi l'intérêt de ce roman ne se trouve-t-il pas dans l'histoire elle-même mais dans la façon aiguisée, très économe de mots, avec laquelle l'auteur décrit les êtres et les choses.

Ainsi un autre nu de Nicolas, que celui du titre, parmi bien d'autres nus qui représentent Jeanne, s'intitule-t-il Nu couché bleu. Pour qui connaît l'oeuvre, ce tableau est résumé avec concision et justesse par Nathalie Chaix en ces termes:

"Cuisses ouvertes. Bras fermés.

Ce qui se donne et ce qui se refuse."

Si René Char disparaît très vite de l'histoire, l'auteur adopte un ton poétique à de nombreuses reprises, que le poète provençal n'aurait pas désapprouvé. Car Nathalie Chaix assemble les mots comme les notes d'une musique évocatrice pour rendre compte de cette tragédie.

La fin elle-même est un long poème, qui se passe de ponctuation, et de commentaires, et qui se termine par ces vers libres, comme les propos de l'auteur tout au long du livre, pour décrire le plongeon du 16 mars 1955:

"Son du corps qui percute l'asphalte

arrêt de la respiration

fin du souffle

murmure du sang qui se disperse - luisant - sur la pierre grise

froide."   

Francis Richard

Grand nu orange, Nathalie Chaix, 216 pages, Bernard Campiche Editeur


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