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A travers les swing states : du Midwest aux Grands Lacs

Publié le 30 octobre 2012 par Délis

Après avoir parcouru les swing states (ces fameux États où se décidera le nom du prochain Président américain) de l’ouest puis du sud, deux régions où les changements démographiques, sociaux et politiques favorisent les démocrates, Délits d’Opinion se dirige vers un nord-est très divers socialement, ethniquement, mais frappé depuis plusieurs décennies par une crise économique qui a lentement permis au parti républicain d’engranger des gains.

Dans les cornfields du Midwest

Première étape dans deux États du Midwest, l’Iowa et l’Indiana. Deux États qui sont proches socialement et économiquement : ils sont nettement plus « blancs » que la moyenne (88,4% dans l’Iowa et 81,3% dans l’Indiana contre 63,3% de moyenne nationale), relativement pauvres (respectivement $62,900 et $60,300 de revenu moyen par ménage, contre $69,800 en moyenne aux États-Unis), plus ruraux (36% de ruraux dans l’Iowa, 27,6% dans l’Indiana contre 19,1% pour l’ensemble des États-Unis)  que la moyenne, avec une économie auparavant basée sur l’agriculture intensive, qui reste une marque de fabrique des ces États producteurs notamment de maïs.

La combinaison de tous ces facteurs devrait largement favoriser les républicains. C’est le cas dans l’Indiana, qui a voté pour le candidat du GOP à toutes les élections présidentielles depuis 1968, 2008 étant l’exception. Cet État vote en moyenne républicain de 5 à 10 points de plus que l’ensemble des États-Unis (cf. graphique ci-dessous, qui indique la différence entre le vote de chaque État et le vote de l’ensemble des États-Unis à chaque scrutin présidentiel : si un État vote plus démocrate que l’ensemble des États-Unis, il se trouve au dessus de 0, et s’il vote moins démocrate que la moyenne, au dessous de 0). Tout indique que Barack Obama ne devrait pas y rééditer son exploit de 2008 . En revanche, l’Iowa est plus disputé, avec cinq votes en faveur des républicains et cinq en faveur des démocrates depuis 1968. Les sondages y sont très serrés, mais restent légèrement en faveur du Président sortant.

A travers les swing states : du Midwest aux Grands Lacs

Cette différence dans le comportement électoral s’explique par la structure économique actuelle de ces États. L’Iowa a en effet compensé la diminution progressive de la production agricole en se spécialisant davantage dans les industries de pointe nécessitant une main d’œuvre qualifiée : 57,6% de ses habitants ont fait une part de leur scolarité dans l’enseignement supérieur, légèrement au-dessus de la moyenne américaine (57,1%). En revanche, l’Indiana a surtout développé son industrie, 18,3% de sa population étant employée dans l’industrie manufacturière, un chiffre bien supérieur à la moyenne du pays (10,3%), avec une plus faible part de sa population qui a fait une partie de ses études dans le supérieur (51,8%). Conséquence, le taux de chômage, très faible dans l’Iowa (5,2%), est dans la moyenne nationale dans l’Indiana (8,2%). C’est probablement ces choix économiques divergents et leurs conséquences sociales, que l’on retrouverait notamment entre les différentes régions de la Pennsylvanie ou de l’Ohio, qui explique pour l’Iowa pourrait voter pour Barack Obama quand l’Indiana devrait choisir Mitt Romney.

Carte 1. Les swing states du nord-est des États-Unis

A travers les swing states : du Midwest aux Grands Lacs

Une social-démocratie à l’américaine en déclin

Poursuivons ce trajet plus au nord, dans deux États, le Minnesota et le Wisconsin, qui ne pourraient mieux illustrer la déliquescence de la gauche américaine. Dès les années 1880, les idées progressistes y trouvèrent un écho particulier, profitant tout d’abord de l’installation de fermiers d’origine allemande ou scandinave inspirés des idées sociale-démocrates, puis du développement de l’industrie minière et manufacturière. Sous la pression de syndicats puissants, les républicains comme les démocrates, à l’époque très malléables idéologiquement, choisir d’adapter leur programme en conséquence et les élus locaux (tel la dynastie La Folette au Wisconsin) firent voter de nombreuses lois favorables aux droits des travailleurs, des femmes ou tendant vers plus de démocratie locale. La région s’est peu à peu transformée en un véritable laboratoire d’idée des progressistes américains. C’est à cette double tradition ouvrière et agricole que la branche locale du parti démocrate au Minnesota doit de porter un nom original et évocateur, celui de Democratic-Farmer-Labor Party.

Cet héritage social s’est cependant progressivement effacé à partir des années 1960. Tout d’abord à cause de changements démographiques : la part de la population travaillant dans l’agriculture s’est considérablement amoindrie : elle ne représente plus que 2,5% de la population active dans ces deux États en 2010, une proportion à peine supérieure à la moyenne américaine (1,9%). Même évolution en ce qui concerne l’activité industrielle : au Minnesota, 12,8% de la population active travaille dans l’industrie ou les transports, un chiffre qui monte à 17% au Wisconsin ; ils sont respectivement 8% et 8,8% à avoir un emploi dans le secteur du bâtiment ou de la maintenance. Si ces chiffres restent dans la moyenne du pays (12,1% et 9,1%), ils témoignent d’un affaiblissement de la base électorale progressiste.

En plus de cette rétractation, les catégories populaires ont progressivement changé de bord politique à partir des années 1960, passant progressivement du camp démocrate au camp républicain. Ce mouvement est dû à l’importance de plus en plus grande dans leur vote des questions de société (question raciale, avortement, homosexualité, etc.) au détriment des enjeux économiques et sociaux (intervention de l’État dans l’économie, redistribution des richesses). Parallèlement, les partis américains, auparavant très éclatés, sont devenus de plus en plus cohérents idéologiquement, l’aile libérale du parti républicain rejoignant le parti démocrate et l’aile conservatrice (et sudiste) du parti démocrate ralliant le GOP.

 

A travers les swing states : du Midwest aux Grands Lacs

Malgré la candidature sous les couleurs démocrates de sénateurs du Minnesota comme Hubert Humphrey en 1968 ou Walter Mondale en 1984, ces évolutions démographiques et politiques ont provoqué une diminution progressive du vote démocrate dans ces deux États (cf. graphique ci-dessus). A tel point que la volonté du gouverneur du Wisconsin de revenir sur plusieurs droits syndicaux en 2010 et 2011, malgré une forte mobilisation de la gauche, a été approuvée par les électeurs à l’occasion d’une procédure visant à révoquer cet élu. Si les sondages indiquent que Barack Obama peut espérer remporter le Wisconsin (malgré l’ancrage local de Paul Ryan, colistier de Mitt Romney) et surtout le Minnesota, il ne fait guère de doute que ces deux États historiquement démocrates devraient rester à l’avenir des swing states très disputés.

Une Rust Belt frappée par la crise économique

Plus à l’est, trois États situés sur les rives des Grands Lacs forment un groupe assez proche socialement du Minnesota et du Wisconsin, mais à l’histoire politique moins marquée à gauche. La Pennsylvanie, le Michigan et l’Ohio sont assez divers d’un point de vue sociologique, avec de larges zones rurales et de grands pôles urbains (Philadelphie et Pittsburgh en Pennsylvanie, Detroit au Michigan, Colombus, Cleveland ou Cincinnati dans l’Ohio). Tous ont longtemps été des bastions ouvriers, où l’économie tournait autour de l’industrie minière, de la sidérurgie et de la métallurgie (Pennsylvanie et Ohio) ainsi que de l’automobile (Michigan).

La crise économique les a touchés de plein fouet dès la fin des années 1970, et la population ouvrière de ces États est aujourd’hui à peine supérieure à la moyenne nationale : entre 13,6% et 15,6% de leur population travaille dans l’industrie ou les transports (12,1% au niveau national), et entre 7,8% et 8,5% dans le secteur du bâtiment ou de la maintenance (9,1% pour la moyenne des Etats-Unis). Cette évolution a été particulièrement désastreuse pour certains grands centres urbains (Pittsburg, Cleveland, Cincinnati) qui sont désormais sinistrés, avec pour conséquence un vote de plus en plus favorable au parti républicain. À l’inverse, les régions plus dynamiques économiquement, avec une forte diversité ethnique et une grande concentration de travailleurs diplômés, restent des bastions démocrates. Cette division géographique et sociale fait que la Pennsylvanie, le Michigan et l’Ohio sont trois États qui, au moins depuis les années 1950, ont toujours été des swing states (cf. graphique ci-dessous).

 

A travers les swing states : du Midwest aux Grands Lacs

Comme le Wisconsin et le Minnesota, les électeurs de ces États, et notamment les catégories populaires, sont partagés entre un certain conservatisme culturel les faisant pencher vers le camp républicain et un interventionnisme économique qui les pousse dans les bras des démocrates, notamment après les plans d’aide de ces dernières années visant à aider l’économie de ces États. Si Barack Obama, plus populaire auprès des jeunes et des « gagnants » de la mondialisation que des catégories populaires, ne semble personnellement pas très bien taillé pour ces États (il suffit de rappeler ses échecs cuisants en 2008 lors des primaires face à Hillary Clinton, alors qu’il était pourtant clair que cette dernière avait perdu), il bénéficie en revanche du contexte de crise économique, qui pousse les électeurs à rejeter à l’arrière plan de leurs préoccupations les enjeux culturels tels que l’avortement ou la mariage homosexuel. Le Président sortant devrait ainsi remporter assez facilement le Michigan, et il bénéficie d’une avance conséquente en Pennsylvanie. Seul l’Ohio semble vraiment en danger, avec des sondages qui ne le placent en moyenne qu’à deux points de son challenger républicain.

Un swing-state perdu dans l’océan démocrate

Dernier swing state de ce parcours, le New Hampshire. Cet État est situé au cœur de la Nouvelle-Angleterre, bastion libéral depuis toujours et qui vote solidement démocrate depuis le début des années 1990, une fois les derniers tenants d’un parti républicain centriste voire libéral ayant disparu. Comme ses voisins, le New Hampshire a donc suivi une trajectoire le conduisant à voter de plus en plus démocrate à partir de l’ère Reagan, en réaction à un GOP trop conservateur, notamment en matière sociétale. Mais il s’est arrêté au milieu du gué (cf. graphique ci-dessous): alors qu’il ne fait aucun doute que le Maine ou le Massachussetts voteront démocrate cette années, les sondages sont à la fois beaucoup plus serrés et plus volatils au New Hampshire.

 

A travers les swing states : du Midwest aux Grands Lacs

On pourrait trouver de nombreuses raisons à cette particularité. Le New Hampshire est un État presque entièrement peuplé de blancs (92% de la population, contre 63% pour les États-Unis). Les afro-américains ou les hispaniques n’y représentent que la portion congrue, et l’on sait combien ces minorités sont importantes au sein de la coalition électorale démocrate. Mais le Vermont voisin est encore plus blanc (94%), et pourtant il est l’État à avoir voté le plus en faveur de Barack Obama en 2008 derrière Hawaï. De même, les blancs représentent au moins 75% de la population des autres États de la région, qui sont tous des bastions démocrates. Si la race n’est pas la clé du New Hampshire, l’argent ne l’est pas plus : cet État bénéficie d’un revenu par foyer moyen très élevé qui peut favoriser le parti républicain ($79,700 contre $69,800 pour l’ensemble du pays), mais c’est là aussi le cas pour les États voisins, avec un maximum de $86,000 au Massachusetts, une place forte du parti démocrate.

Finalement, cette particularité s’explique plutôt par l’histoire politique de l’État que par sa démographie. Depuis l’indépendance des États-Unis, le New Hampshire se caractérise par ses sympathies libertariennes avec un fort rejet de l’État fédéral et l’accent mis sur la liberté, que se soit au niveau sociétal ou économique. La devise de l’État, Live Free or Die (Vivre libre ou mourir), illustre bien cette tendance politique, de même que le Free State Project qui vise à installer 20 000 personnes aux opinions libertariennes dans l’État afin d’influencer significativement les élus locaux. A l’inverse des États du Midwest et des Grands Lacs, socialement conservateurs et économiquement de gauche, le New Hampshire est donc aujourd’hui à la fois très ouvert sur les questions de société (il est un des six États à autoriser le mariage gay), mais aussi farouchement opposé à l’intervention de l’État fédéral. Ce qui explique pourquoi il est le seul État de la Nouvelle-Angleterre à pouvoir échapper au Président sortant le 6 novembre prochain si les électeurs mettent l’accent sur le libéralisme économique, mieux défendu par Mitt Romney.

* * *

La géographie électorale américaine ne sort pas bouleversée de cet examen des swing states. Les républicains restent globalement les maîtres des montagnes de l’ouest et du Sud, alors que les démocrates dominent toujours largement le nord-est ainsi que la cote pacifique. Toutefois, la liste de ces quelques États très disputés évolue lentement avec le temps, et au profit des démocrates : en 2000 ou en 2004, ils n’auraient jamais pensé à cibler la Virginie, la Caroline du Nord ou le Colorado, considérés comme perdus à ce stade de la campagne. Surtout, les démocrates progressent sur le long-terme dans les zones les plus dynamiques démographiquement et économiquement, alors que les républicains enregistrent surtout des gains dans des régions en crise, plus âgées que la moyenne et peu diverses ethniquement. Or, le nombre de Grands Électeurs par État est fonction de leur population. Si cette tendance se poursuit, le parti républicain risque d’en payer le prix à l’avenir.


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