Pour Libé, les patrons sont en lutte contre la gauche. L'idée est assez simple et a bien fonctionné auprès de l'opinion publique par le passé : quand une partie de la population s'élève contre les mesures liberticides d'un gouvernement autoritaire, il suffit de les présenter en ennemis du progrès.
Par Baptiste Créteur.
Ainsi, les patrons seraient en lutte contre la gauche. Pour bien manifester leur opposition de principe, ils n'ont d'ailleurs pas attendu qu'elle mette en œuvre des mesures liberticides pour faire entendre leur mécontentement, qui s'est exprimé dès l'élection présidentielle. De plus, ils l'expriment violemment, comme le souligne à juste titre l'illustration ; on a récemment vu des patrons tenter de bloquer le pays et d'obstruer la liberté de la presse, entendu des entrepreneurs lancer des appels à la grève via leurs puissants syndicats, et remarqué leur volonté de nuire à l'ensemble de la population. On remarque bien que les patrons sont en lutte contre la gauche, alors que les autres, les salariés du privé et du public, les retraités et les chômeurs applaudissent des deux mains les efforts couronnés de succès du gouvernement.
Ce que Libération essaie de vous faire comprendre, Français, c'est que les solutions proposées par les chefs d'entreprise pour réduire un coût du travail plus élevé qu'ailleurs, favoriser l'innovation, l'emploi et la formation, réduire la dette, etc. sont un leurre : seul le gouvernement sait ce qui est bon. Les patrons, eux, savent uniquement créer de la richesse ; comment pourraient-ils proposer des pistes pour mieux dépenser ce qu'on leur prélève alors qu'ils sont juge et partie ? Le gouvernement, lui, est bon ; il sait être impartial quand sa survie et son maintien au pouvoir dépendent de ce qu'il sera capable de prélever aux créateurs de richesse. C'est pour cela qu'il a la lucidité de commander des rapports pour rejeter leurs conclusions et de nier l'importance de réduire le déficit et la dette quand l'histoire indique que le danger est immense.
On les voit bien, ces patrons, cigare aux lèvres, lunettes de soleil et cravate nouée à l'américaine, tout acquis qu'ils sont à la cause du grand capital. Ils ont d'ailleurs la prétention de se comparer aux majestueux pigeons et aux aristocratiques moutons, quand ils ne font pas référence aux prestigieux moineaux…
Libération a raison de présenter les patrons comme les ennemis du progrès. Ce progrès qui veut qu'on redistribue toujours plus, qu'on empêche les entreprises de se créer et de fermer, ce progrès qui veut qu'on aille vers toujours plus de dépense contrôlée par l’État et toujours moins par le libre consentement des individus. L’État-providence fonctionne mal et bientôt plus du tout, sans doute parce qu'on ne lui donne pas déjà assez de moyens. L’État veut décider, car il sait ce qui est bon ; c'est en s'impliquant dans la gestion des entreprises qu'il va les aider, et les chefs d'entreprise acceptent de gaieté de cœur.
Il est important de se souvenir que l'appel à un socialisme soucieux des intérêts des plus défavorisés et de l'intérêt national a déjà eu des précédents heureux et qu'on a déjà dénoncé justement l'insolence des capitalistes qui, par leurs choix d'investissement, menacent le maintien du train de vie de l’État :
Dans la mesure où l'économie s'est rendue maître de l'État, l'argent est devenu le dieu que tous devaient adorer à genoux [...] La bourse commença à triompher et s'employa lentement mais sûrement à soumettre à son contrôle la vie de la nation [...] Le capital doit rester au service de l'État et ne pas essayer de devenir le maître de la nation. (Joseph Goebbels)
Considérer que l'entrepreneur est un héros qui déploie toute son intelligence pour proposer des biens et services toujours plus performants et innovants ou qu'il exploite ceux à qui il propose un travail aliénant contre une rémunération misérable tient à peu de choses :
Éludant la différence entre production et pillage, ils appelèrent l'entrepreneur un voleur. Éludant la différence entre liberté et coercition, ils l'appelèrent esclavagiste. Éludant la différence entre récompense et terreur, ils l'appelèrent exploiteur. Éludant la différence entre fiches de paie et fusils, ils l'appelèrent autocrate. Éludant la différence entre l'échange et la force, ils l'appelèrent tyran. Le plus important qu'il leur fallait éluder était la différence entre ce qui est acquis par le mérite et ce qui ne l'est pas. (Ayn Rand, "For the New Intellectual")
C'est cela que Libération oublie : l'entrepreneur crée de la richesse et la valorise par le consentement de ceux avec qui il échange, là où l’État prélève, taxe, spolie sans se soucier du consentement et sans hésiter à recourir à la force pour faire respecter ses décisions. Les entrepreneurs font entendre leur voix pour pouvoir continuer à produire et à créer, pas pour protéger des acquis offerts par l’État et prélevés à d'autres. Est-ce donc là ce qui vous choque tant, journalistes de Libération, que des individus ne réclament pas plus de l’État mais demandent uniquement qu'on les laisse travailler ? À force de vivre de subventions payées par des contribuables qui ne vous lisent plus et des entreprises que vous raillez régulièrement, vous avez dû oublier ce qu'est un chef d'entreprise, qui doit jour après jour satisfaire ses clients pour espérer les voir revenir.
Les relations amour-haine entre le patronat et le gouvernement tiennent désormais plus de la seconde que du premier. Une part importante des patrons ont accepté de jouer le jeu de l’État, de chercher à obtenir des faveurs, des avantages, la protection d'un État bien trop content de pouvoir s'immiscer dans les affaires économiques. Ils en paient le prix aujourd'hui ; l'économie a depuis longtemps cessé de refléter les choix des individus, et les entreprises ont du mal à comprendre pourquoi elles paient un si cher tribut à la concurrence après des années d'anesthésie étatique. Vous avez raison de dénoncer ces patrons, qui ont cherché à s'enrichir en empêchant les autres de produire plutôt qu'en offrant de meilleurs produits et services pour un prix inférieur à leurs concurrents. Ils ont laissé la proximité avec le pouvoir politique remplacer la compétence comme critère de compétitivité. Si tant est qu'elle ait un jour existé, la vraie démocratie, celle d'un marché libre où chacun choisit sans contrainte ni coercition, a disparu.
Au lieu de cela, la démocratie a désormais le pouvoir de faire voter l'ensemble des individus sur des sujets qui ne les concernent pas. Là où chacun décidait de la meilleure façon d'utiliser son argent, tout le monde décide aujourd'hui de la meilleure façon d'utiliser l'argent des autres. C'est la deuxième erreur qu'ont commis les capitalistes : en plus d'accepter la collusion avec l’État, ils ont accepté le fardeau qu'on voulait leur faire porter. En redistribuant la richesse de ceux qui la créent vers les autres, l’État défend un "progrès social" qui voudrait que la richesse n'appartienne pas à ceux qui la crée et que le besoin ait plus de sens que la vertu. C'est contre cette vision, qui veut que l'individu se sacrifie pour le groupe ou une partie du groupe, que se lèvent depuis longtemps déjà les défenseurs de la liberté ; les entrepreneurs, eux, se lèvent aujourd'hui contre la goutte d'impôt qui fait déborder le vase, la taxe de trop, le prélèvement supplémentaire qui rend leur fardeau insupportable. Conscients qu'ils portent le monde sur leurs épaules, ils craignent de devoir un jour, à bout de forces, le laisser tomber.
Ne soyez pas inquiets, Français. Cette Une de Libération n'a aucun sens. La "lutte" des patrons n'aura pas lieu. Les entrepreneurs, les capitalistes, les créateurs de richesse ont construit leur vie sur l'idée que le consentement avait plus de sens que la contrainte, que la liberté avait plus de valeur que la violence. La lutte est l'apanage de ceux qui prennent les armes ; les entrepreneurs, eux, prendront la fuite.
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