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La question qui tue

Par Marc Traverson

J'observe avec beaucoup de curiosité ce qui se passe au Parti Socialiste, et qui paraît un bon modèle pour s'interroger sur les notions de cohésion, d'efficacité et de leadership dans un groupe politique.

La question posée, à longueur d'interviews dans les journaux, par les différents leaders socialistes, est celle-ci :

leur Parti doit-il d'abord choisir un leader puis s'atteler à construire un programme de gouvernement,

ou bien...

faut-il au contraire commencer par structurer une ligne politique, un corpus idéologique renouvelé, avant de décider qui en fera la promotion devant les électeurs ?

La poule et l'oeuf

C'est une question sidérante. Comme celle de la poule et de l'œuf.

Mais elle est d'un grand secours pour le PS.

- Tant qu'elle reste posée, elle permet de ne pas discuter frontalement des idées (social-démocratie ou gauche à l'ancienne) ni de s'écharper sur le choix d'un leader.

- Elle installe tout le monde dans la configuration OK Corral : celui qui dégaine le premier est mort. Bref, elle gèle la situation interne, et écarte pour un moment le risque – réel – d'éclatement entre plusieurs fractions aux positions irréconciliables.

C'est un peu comme de placer un accidenté grave en coma artificiel. Ca ne le soigne pas, mais ca permet de se donner un peu de temps en espérant que les choses s'améliorent.

La question qui tue

On se souvient que lors de l'élection présidentielle, le PS avait fait le choix suivant : le programme d'abord, le leader ensuite. On a vu ce qui s'en est ensuivit. Ségolène Royal s'est trouvée lestée d'un programme inepte, laborieux compromis a minima entre les différents courants. Autant se présenter pour le cent mètres nage libre avec un boulet attaché au pied. Elle coula.

Les électeurs, dans une compétition de ce genre, font leur choix en fonction:

1) des idées qu'un candidat exprime dans ses discours et ses écrits,

2) de sa "personnalité" et de ce qu'ils perçoivent de ses compétences, de son tempérament,

3) de sa capacité à rassembler son camp, c'est-à-dire à réduire les voix discordantes, et à cimenter la cohésion de ses troupes.

De ce point de vue, en 2007, l'avantage de Nicolas Sarkozy était énorme : leader incontesté de son camp, à la tête d'une équipe en ordre de marche, martelant un message parfaitement calibré. (Remarquons au passage que la Ve République promeut un mode de leadership passablement archaïque, celui d'un homme qui concentre tous les pouvoirs, alors qu'à mon avis notre société aurait aujourd'hui un besoin criant de responsabilisation collective et de co-construction.)

L'ordre des priorités
Pour le PS, se questionner de nouveau sur l'ordre des priorités (leader ou programme ?) montre bien que, un an après l'échec retentissant de Ségolène Royal, les cadres du Parti proposent de faire toujours plus du même. Et de mettre sur orbite un prochain échec en 2012. Bel exemple de fonctionnement névrotique, c'est-à-dire une répétition mortifère de ce qui ne fonctionne pas.

En plus de geler la situation, la question qui tue fonctionne aussi comme leurre. Car tout le monde explique, bien sûr, que ce sont les idées qui comptent, le Programme. Les "questions de personne" ? bouh, que c'est vilain. Les idées, en revanche, c'est noble ! Mais les idées ne sont rien si elles ne sont pas incarnées par des hommes et des femmes organisés.

Bref, y penser toujours, n'en parler jamais : la question du leadership, c'est-à-dire de la personne capable de fédérer les énergies pour conquérir le pouvoir, n'est jamais posée au grand jour.

Guerre froide
Au fond, la situation pour le PS est très difficile. Car un leader émerge toujours d'une dynamique. C'est dans l'action, à la manœuvre, que l'on décèle le capitaine, celui auquel on peut confier le choix d'un cap. Lorsque la situation semble tellement tendue que celui qui bouge devient immédiatement une cible, un groupe devient le fossoyeur de sa propre énergie, et détruit toutes les initiatives. C'est une guerre froide qui ne dit pas son nom.

Il faudra aux acteurs de la pièce trouver les moyens de remettre du mouvement, et de redistribuer les cartes – voire d'acter une séparation – afin de sortir du bourbier dans lequel ils sont enlisés, et qui n'est bon pour personne dans un régime bipolaire.


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