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"Les pommiers de la Baltique" de Léonard Crot

Publié le 10 novembre 2012 par Francisrichard @francisrichard

Le temps est maussade. L'après-midi automnale est en son milieu. Il pleut sur la région parisienne. On se croirait déjà en pleine nuit. Je viens d'achever un livre, couleur de ce temps, sombre.

Lecteur impénitent, je devrais pourtant savoir, depuis le temps, qu'on ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments et qu'André Gide avait bien raison quand il disait cela, même si, dans le genre, j'incline pour les écrivains capables de me faire rire ou au moins sourire de notre condition humaine.

Edgar est mourant. Il est le locataire d'une maison qui fait face à un immeuble rouge de quatre étages. Il retrace sa vie sur son lit de douleur. Sa chambre empeste. Il a connu et aimé Fran au Danemark puis en Suisse, lors d'un échange de jeunes.

Edgar a été élevé par ses grands-parents, Robert et Elisabeth Münzer, qui ont fui l'Allemagne du grand Reich. Robert n'a pas eu le coeur d'expulser de son logement la dévote Elisabeth. Faible des bronches, il n'est pas devenu officier. Faible de coeur, il a épousé Elisabeth. Dans leur jardin, il y a des pommiers, sur lesquels Robert apprend à Edgar à tirer au revolver:

"Les jeunes pommiers agitent leurs branches nues pour apprendre le sens du vent.

(Le vent vient de la Baltique, Fran, mais ils n'en savent rien.)"

Dominique travaille dans un EMS, dénommé Point de Jour. Elle a été mariée avec Edgar. Ils ont vécu ensemble pendant huit ans. Puis ils se sont quittés, il y a dix ans. Edgar avait pour métier d'élaguer des pommiers et, dans cette tâche, Gustave pour collègue. Tous deux sont partis un jour pour ramener la blonde Fran du Danemark, à laquelle Edgar associe le souvenir de son amie Julia. La brune Dominique, elle, est partie avec celui qui est devenu son second mari après avoir déchiré sa robe verte.

Dominique s'occupe donc de vieux. Pour meubler le temps, elle leur raconte des tranches de sa vie, telles que son père parti quand il a su que sa mère avait une aventure avec le père d'Olivia, sa compagne de jeux d'enfants. Elle ne sait pas que c'est son second mari qui, pour être tranquille, l'a fait embaucher dans cet EMS, dont la directrice passe ses après-midi au lit avec lui.

Marina a vu sous ses yeux sa soeur Chloé se faire faucher par un bus et devenir estropiée pour la vie. Sa mère est suicidaire. Comme Marina est d'un naturel charitable, elle l'a aidée dans plusieurs de ses tentatives de mettre fin à ses jours. Le type qui habite sur le même palier propose de s'occuper des trois après le départ du père. Bientôt il les accueille sous son huis pour réduire les frais et payer des études à Marina.

Marina, bien qu'elle ait achevé ses études supérieures, fait des ménages. Depuis cinq ans elle travaille dans la maison d'Edgar malgré l'odeur pestilentielle qui s'échappe de la chambre de ce dernier, dans laquelle il ne lui est pas permis de pénétrer et encore moins de faire le ménage. En face l'immeuble rouge, qui n'est peut-être pas de cette couleur, est le lieu de drames à tous les étages et le théâtre de morts en série.

Edgar, Dominique et Marina parlent à la première personne. Des images de leur passé les hantent. Edgar repense notamment à ses amours adolescentes avec Fran sur les plages de la Baltique, Dominique à son petit garçon que son compagnon Grégoire n'a pas voulu garder pour des raisons pécuniaires, Marina à sa défloration par Bastien dont elle garde un souvenir ému.

A la fin, au décès d'Edgar, le lecteur apprend le terrible secret de l'odeur insoutenable qui émanait de sa chambre. Mais, avant d'arriver à ce dénouement, il lui aura fallu parcourir des existences où les instants de bonheur sont chichement comptés et où les réussites sont bien absentes.

Ce premier roman publié de Léonard Crot n'est guère roboratif. Il ne manque pourtant pas de charme. Sans doute parce que l'auteur est amoureux des mots, de leur musique, et qu'il a l'art de mélanger rêves, souvent cauchemars, avec réalités très prosaïques, avec lesquelles il faut bien renouer après avoir fui interrogations et interrogateurs:

"Les pommiers de la Baltique ne sont qu'un leurre, une fiction inaccessible, peu importe."

N'est-ce pas Marina?

Francis Richard

Les pommiers de la Baltique, Léonard Crot, 252 pages, L'Aire


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