Eva Illouz, sociologue
Traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry
Ce texte a été initialement publié dans le quotidien israélien Haaretz
L’affaire
Dreyfus a été un moment crucial tant pour la France que pour le
sionisme. Pendant douze longues années, la France a été déchirée par le
conflit entre les forces de la République et celles de l’antisémitisme
et du nationalisme. C’est aussi à cette époque que le spectacle des
masses scandant « Mort aux juifs ! » aurait amené le fondateur du
sionisme, Theodor Herzl, à conclure que seule la création d’un foyer
national juif pourrait résoudre le problème de l’antisémitisme.
S’il est vrai que l’« Affaire » a été la semence qui a fécondé le
champ prospère du nationalisme sioniste, si son existence même est
l’expression des forces obscures auxquelles le sionisme se trouvait
confronté, il est dès lors légitime de revenir sur cet épisode
historique dans une perspective actuelle. L’affaire Dreyfus peut ainsi
devenir le miroir d’Israël.
Je me permettrai de l’examiner sous un angle différent. Cela ne veut
pas dire que je conteste ou que je rejette la perception courante de
l’affaire Dreyfus selon laquelle l’armée française était gravement
contaminée par une forme d’antisémitisme virulent, et que ce dernier ne
faisait que refléter une haine antijuive elle-même très répandue dans
une grande partie de la population française.
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