Magazine Bien-être
Une vivante, merveilleuse unité s’établit entre la lumière basse de l’automne, l’or des feuillages, la fraîcheur de l’air et le bleu atténué du ciel. Chacun de mes pas semble me glisser sous l’huile luisante d’un tableau, rassemblant la diversité du paysage dans le même éclat. Je parle d’unité, au sens de tonalité, mais le premier sentiment qui m’est venu en traversant la vaste esplanade bordée de vieux platanes est celui de cohérence. Oui, étrangement, une sorte de cohérence interne au monde, latente, sous-jacente, par laquelle toutes choses s’accordent et se répondent, qui fait que je m’y insère par le dedans, par l’âme qui est en moi et qui trouve là sa joie comme sa raison d’être.
Plus qu’aucune autre saison sans doute, l’automne nous apprend que l’unité ne craint pas la variété des formes, mais se plaît au contraire à les épouser, à les rapprocher, comme un vaste et savant accord que seul le doigté d’un rayon peut jouer sur les cordes invisibles de la lumière. L’âme alors sent bien que ce message lui est adressé, que ce somptueux tableau déployé devant elle, cette secrète partition sont pour elle. Elle tend l’oreille, qui ne cherche plus que les rapports. Elle ouvre des yeux qui eux-mêmes s’écoulent comme une eau claire. Tout l’espace semble s’ouvrir, l’instant offert, l’instant accompli où l’esprit, qu’elle pressentait toujours un peu en avant ou au-dessus du corps, devient ce principe unificateur, cette touche des plus délicates sous laquelle la chose et le regard s’épousent dans le même tremblement.
Dans cette atmosphère allégée, comme suspendue, à peine brumeuse, un chant d’oiseau se glisse, d’une pureté lumineuse, mince ruisseau à travers les airs. Lui aussi est accordé. Il chante les couleurs, la clarté, le bleu dilué qui passe tout entier dans les inflexions d’une tranquille mélodie. Je ne le vois pas. Son chant semble monter de l’arbre en feu, d’une gorge secrète, une voix très ancienne, jeune toujours, qui passe à travers chaque chose, pour tenir tout ensemble sur le même fil.
On ne mesure pas combien la nature est unifiante. À son contact, nous revenons à la source inépuisée de la vie nue, de la vie une, une à la racine, une à son sommet, comme le grand arbre se consumant de mille petites flammes, tel un buisson ardent où le nom de Dieu se murmure en cette langue aussi ancienne que la création, langue bruissante, langue vibrante qui nous rejoint aujourd’hui au creux d’un cœur ouvert à la lumière, tout près de s’offrir, avec cette feuille détachée qui meurt de tant de beauté, sans un cri, sans même un soupir, juste un frôlement qui voudrait aussi m’emporter et tout résumer dans sa faiblesse.
Un souffle chaud court encore sur les talus aux herbes longues. Dans les bois, un rayon oblique soulève les branchages et colore le dessous des feuilles. Cependant, l’ombre vient vite et monte sur les versants froids, tandis qu’une pluie d’or et murmurante, un lancer de pétales couvre le chemin, où la mariée de l’été a laissé sa traîne avec les couleurs du soir. L’air descend comme une bénédiction, la longue main du ciel étendue sur nos têtes, sous un soleil doré où toutes choses s’apaisent avant de disparaître. La lumière à son automne semble venir nous prendre, comme le reflet sur les miroirs d’eau, comme la feuille au vent, pour nous soulever à la hauteur de notre souffle. Vibrant automne, saison déchirante, des apothéoses et du plus haut dépouillement. Il est parfois si beau de mourir.
Philippe Mac Leod est écrivain. Son dernier recueil de poésie, Sens et Beauté, est paru aux éditions Ad Solem.