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Commission Jospin : un bilan mitigé

Publié le 11 novembre 2012 par Julienviel

La Commission chargée de la rénovation et de la déontologie de la vie politique, dite « Commission Jospin », a rendu hier son rapport très attendu, et au final assez inégal dans la qualité et la novation de ses propositions. 

Si le rapport m'inspire une position aussi réservée, c'est que l'approbation sincère, voire enthousiaste, que m'inspirent certaines propositions qui viennent corriger des travers depuis longtemps décriés de notre vie politique, est contrebalancée par d'autres positions trop timides, ou trop faciles, ou qui renforcent certains travers tels que le fait majoritaire ou l'affaiblissement du parlementarisme. 

Election présidentielle : des avancées espérées sur l'organisation, tempérées par la consécration de la domination bipartisane et de l'emprise de l'exécutif sur le législatif.

S'agissant de l'élection présidentielle, la refonte du système de parrainages et le remboursement des dépenses électorales pour les candidats ayant réalisé un score autour du seuil couperet de 5% sont de nature à assurer que chaque force politique représentative d'une sensibilité spécifique pourra être représentée dans ce que la Commission consacre comme l'élection centrale de confrontation des idées et des projets, au détriment des élections législatives qui ne visent plus guère qu'à donner au président les moyens de mener à bien son programme. 

La fermeture des bureaux de vote à 20h constitue une réponse adaptée à l'évolution de la technologie et aux situations ubuesques rencontrées par les médias français lors des dernières élections.

En revanche, le traitement « équitable » de la campagne intermédiaire par les médias m'inquiète, en particulier en ce qui concerne le critère d'équité pour le temps de parole, fondé sur les résultats électoraux précédents de la formation politique, et qui risque de renforcer l'idée d'une présidentielle à trois niveaux : les deux favoris, omniprésents, les challengers reconnus, déjà moins écoutés, et les « petits candidats » condamnés à le demeurer.

La position de la Commission sur le calendrier électoral me semble par ailleurs fort discutable, ou à tout le moins trop désireuse d'écarter d'un revers de main la discussion de fond. Elle refuse ainsi l'inversion du calendrier au motif qu'elle diminuerait les enjeux du scrutin présidentiel, mais ne s'interroge pas sur le fait que le calendrier fixé en 2001 a diminué, pour sa part, les enjeux des élections législatives... dommage pour la revalorisation du parlementarisme qu'elle invoque par ailleurs. 

En somme, la Commission consacre sans s'interroger sur ses travers inhérents un système dans lequel l'élection présidentielle, en bipolarisant les forces politiques en vue du second tour de l'élection présidentielle, gomme les nuances, affadit les contrastes et limite le choix stratégique des électeurs ; elle sanctifie dans la foulée la mainmise de l'exécutif sur le législatif, en entérinant le rôle de simple « moyen d'exécution » du Parlement pour l'exécutif. Certes, magnanime, elle permet aux petits partis de s'exprimer, mais elle s'assure dans le même temps que leurs candidats ne viendront pas perturber le débat serein, immuable, des candidats des deux grandes formations. 

La rénovation de la vie politique méritait un meilleur débat sur le fait majoritaire et l'équilibre des pouvoirs, et la réponse frileuse de la Commission sur ces questions ne rend que plus indispensable l'avènement d'une VIème République pour rentrer dans un vrai débat constitutionnel sur ces questions. 

Parlementarisme : quelques avancées sur la parité et au Sénat, une saisissante frilosité sur la proportionnelle, et la tentation convenue du non-cumul des mandats

La définition de sanctions financières progressives du non respect de la parité aux élections législatives, qui frapperaient chaque formation politique à raison de l'écart entre le taux de 50% de candidate et son propre taux, évite l'écueil de l'effet de seuil d'un taux forfaitaire supprimant toute subvention aux partis en-dessous du seuil plancher, et constitue à ce titre une avancée louable autant que raisonnée.

En ce qui concerne l'introduction du scrutin proportionnel dans les législatives, que de timidité ! 10% à peine de l'Assemblée Nationale, 58 élus, ce qui réduira l'impact de la présence de ces « représentants proportionnels » dans l'hémicycle, d'autant qu'une bonne part de ces 58 places auront été accaparées par les partis déjà sur-représentés par le scrutin majoritaire. Dommage d'admettre enfin une limite au système actuel pour n'y substituer qu'un modeste saupoudrage d'une poignée d'élus...
A contrario, pour ce qui est des élections sénatoriales, le renforcement du scrutin proportionnel, tout comme l'abaissement de l'âge d'éligibilité et surtout la pondération des voix pour mieux représenter les bassins de population sont autant d'avancées certaines et positives pour renforcer les liens entre la Haute Assemblée et les citoyens.
Je suis en revanche beaucoup plus réservé sur la limitation du cumul des mandats telle que la préconise la Commission. Disposer d'un ensemble de parlementaires impliqués au quotidien dans la gestion d'une collectivité locale, confrontés aux conséquences des décisions de l'Etat sur le fonctionnement de celle-ci, constitue non pas un obstacle, mais un atout pour le travail législatif. 

Un exemple me semble particulièrement frappant pour illustrer cette réalité : les transferts de compétences de l'Etat aux collectivités locales. La réalisation de ces transferts, participant de la décentralisation, devait s'accompagner de transferts financiers qui n'ont pas entièrement suivi. Dès le départ, le montant du budget de fonctionnement n'avait pas été correctement évalué, ou les dépenses d'investissement pourtant prévisibles n'avaient pas été provisionnées dans le budget de l'entité transférée. Par la suite, l'évolution de l'activité transférée n'a pas été prise en compte et compensée, du fait du gel des transferts financiers décidé dans la loi de finances.

A ce titre, un Parlement déconnecté de la représentation locale, concentré sur la gestion de l'Etat, dont les membres ne seraient plus associés aux décisions exécutives des collectivités, me semble bien davantage une menace pour la décentralisation que la chance que proclame la Commission ! Il est en effet bien plus malaisé pour un parlementaire de justifier son vote de gel ou de coupe budgétaire s'il est confronté au quotidien, dans ses fonctions exécutives locales, à ses conséquences, que s'il est absent de la gestion des collectivités impactées.

Qu'un mandat local soit incompatible avec des responsabilités ministérielles, c'est acquis. Qu'un mandat parlementaire ne soit pas compatible, en termes de temps de présence et de travail, avec un exécutif local important (présidence d'une région, d'un département, d'une grande commune, d'une communauté urbaine), cela peut s'entendre. Que tout mandat exécutif local soit incompatible avec le même mandat parlementaire me semble par contre mériter davantage de discussion qu'une interdiction sans nuance. 

La limitation du cumul des indemnités me paraît bien plus adaptée pour juguler la tentation multi-électorale de certains élus ; au-delà, la limitation à un mandat exécutif (tout compris, collectivités, EPCI ou EPIC) local outre le mandat parlementaire m'aurait paru plus adaptée, limitant la dispersion des élus sans risquer de couper le lien utile entre représentation locale et représentation nationale.

Déontologie : des avancées attendues, souhaitables et pertinentes, tant sur le terrain de la responsabilité judiciaire des membres de l'exécutif que de la lutte contre les conflits d'intérêt

La réforme de la responsabilité pénale et civile du chef de l'Etat était réclamée depuis longtemps : depuis que l'irresponsabilité pénale d'un président en exercice lui avait permis d'éviter pendant près de 12 ans de répondre d'actes délictueux pour lesquels ses affidés étaient poursuivis, de sorte que quand son mandat s'était achevé, les poursuites pour des actes aussi anciens avaient perdu beaucoup de leur sens. Cette impunité légale, organisée, avait choqué nos concitoyens, appelant une réforme du statut pénal du chef de l'Etat. La mise en place d'un filtre aux poursuites, l'interdiction de la citation directe répondent aux préoccupations d'une mise en cause trop fréquente du président, tandis que la dévolution de l'instruction et du jugement à des juridictions de droit commun écarte l'accusation d'une justice de caste. 

En outre, mettre fin à l'inviolabilité civile du chef de l'Etat supprimera des situations ubuesques dans lesquelles le président, agissant au civil contre un particulier, ne pouvait se voir opposer aucune mesure judiciaire dans le cadre de l'instance, compromettant ainsi le principe d'égalité des armes qui constitue le fondement d'une justice saine. 

S'agissant des ministres, la suppression de la Cour de Justice de la République est de nature à restaurer une égalité judiciaire entre citoyens mise à mal par le privilège de juridiction des membres du gouvernement. 

Enfin, la stratégie proposée de prévention des conflits d'intérêts, mêlant renforcement des incompatibilités, du contrôle du départ vers le privé et des déclarations d'intérêts des ministres, des membres des cabinets, des parlementaires et des hauts fonctionnaires, participera à limiter les potentiels conflits d'intérêts entre représentation publique et groupes privés, dont les révélations successives ont bien plus contribué à saper la confiance des citoyens dans la classe politique que ne le fait le cumul des mandats. 

Renaud Weber

Vice-Président – Coordination, Stratégie et Programme du PRG 67


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