Hier je suis dans le RER (c’est beau, ça rime) attendant patiemment que celui-ci finisse par repartir. 5 bonnes minutes qu’il était à quai à la station Luxembourg à cause d’un problème technique.
Je me sens fatiguée, irritable et j’ai faim. Un super combo me mettant dans une méchante humeur.
Donc je suis là, j’attends.
Et je réfléchis à ce truc que je veux faire, qui me reste en tête depuis un moment déjà, sur lequel j’avance à pas de souris, mais pas suffisamment à mon goût. Parce que j’ai beau être pleine de ressources, il y a des choses sur lesquelles je bloque encore et toujours. Parce que je veux, je veux, je veux, mais j’envisage toujours le pire si j’ai le malheur de penser à la suite et du coup j’y vais à pas un peu trop précautionneux.
Donc j’en suis à ces considérations, somme toute, très ruminantes quand j’aperçois une silhouette familière sur le quai d’en face. Il y a ce monsieur qui a le menton posé sur la paume de main, ses yeux bleus, son regard vif, sa sacoche et cette allure si caractéristique. Mais oui, c’est bien lui, Monsieur S. L’un de mes professeurs lorsque j’étais en Master 1 et 2 (aka Maîtrise et en DEA) de socio. Mais surtout ce professeur a été mon directeur de recherche pour mes deux mémoires d’études.
Mon premier mémoire portait sur les rites de sociabilité dans les foyers de travailleurs immigrés. J’avais choisi ce sujet parce qu’il était en lien avec l’histoire de mon père et que je souhaitais découvrir ces lieux. Au début de mon étude, ça a été très dure. J’avais essayé d’instaurer une relation de confiance avec des résidents et des délégués les représentant. Toutefois, il y avait eu beaucoup de méfiance à mon égard. On me soupçonnait d’être une agent de police infiltrée qui serait là pour traquer les personnes sans-papiers. Certains résidents pensaient que j’étais présente pour espionner et rendre des comptes auprès des instances de direction de la structure. Je comprenais leurs sentiments et trouvaient leurs réactions tout à fait légitimes. Je m’étais préparée à cette éventualité, mais très vite je me suis sentie dépassée et très touchée par les réactions des gens. Un jour, j’avais failli capitulé, je voulais changer de sujet, ne plus être considérée comme une inquisitrice par les gens que je croisais. Et pourtant, j’ai finalement continué mon étude. J’ai changé d’axe, j’ai rencontré de nouvelles personnes ressources qui m’ont intronisée auprès d’un groupe de résidents. Une relation de confiance s’est instaurée, j’ai réussi à partager une partie de leur quotidien, je mangeais et discutais avec eux. Ils étaient très prévenants, me recevant toujours avec beaucoup d’attention. J’observais les interactions, les tensions, l’entraide entre eux, le soutien financier ou moral apporté à ceux qui devaient rentrer en urgence au pays (au Mali). J’ai adoré faire cette étude et j’ai adoré ces résidents et les personnes m’ayant fait confiance. J’ai d’ailleurs eu une très bonne note dont je suis encore très, très fière
.Et donc, j’avais raconté en détail les embûches rencontrées au début de l’enquête à mon directeur de recherche. Je lui avais expliqué mon envie de tout envoyer valdinguer et de faire un autre sujet et que la sensation de me cogner à un mur ne se dissipait pas. J’avais fini par lui expliquer que j’avais finalement trouvé telles ou telles solutions et donc que l’étude avait fini par avancer. Je me souviens de son écoute attentive, puis de cette phrase : « Mademoiselle (mon nom de famille) j’admire vraiment votre pugnacité, vous avez continué à chercher un axe d’entrée et vous avez brillamment trouvé. Une chose est sûre c’est que vous n’abandonnez pas facilement, quand on vous vire par la porte, vous revenez toujours par la fenêtre ou par un autre moyen, je vous félicite ».
Cette phrase et toutes les choses positives dites par lui au cours de mes études me sont revenues hier quand je l’ai aperçu. Alors on croira ce que l’on voudra, mais en ce moment où j’avance avec angoisse vers la concrétisation de projets, il me manquait un petit coup de pouce pour me remettre davantage sur la voie de la confiance. Et cette « presque » rencontre créatrice de bons souvenirs aura fini de me conforter dans l’idée que j’ai les ressources pour y aller. Un joli signe du destin je trouve.
J’espère que si je le rencontre à nouveau, nous serons sur le même quai cette fois-ci et que je pourrais à nouveau discuter avec lui et lui parler des bienfaits de sa bienveillance sur moi.
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