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"Le rap s'est imposé à moi comme une évidence"

Publié le 14 novembre 2012 par Teazine
Je suis nulle en rap, je n'y connais rien et puis je me fais facilement embobiner. C'est le cas pour 1995 par exemple : il y a quelques mois je jetais une oreille amusée à "La Flemme" parce que oui moi aussi et hop, s'enchaînent "Le Milliardaire" et autres "Rénégats" en mode replay sur ma playlist sobrement intitulée "peura frouze". Prise au piège par de prétendus usurpateurs d'un esprit auquel je ne connais rien ou séduite par des as de la rime qui remettent au goût du jour un flow qu'on croyait perdu? Je n'en sais rien, je n'en ai cure. 1995 c'est cool pour shaker son boule, point. C'est tout ce que je demande. Pour se laisser aller pleinement au vice il a donc absolument fallu les voir en vrai, en concert, et même de près, dans une tentative d'interview un peu vaine. On y a sagement écouté les blagues des branleurs (pardon mais quand même) fatigués étalés sur leurs canapés. Sans rancune, la prestation scénique hyper enjouée quelques heures plus tard a fait passer la pilule comme une lettre à la poste. A partir de maintenant TEA se lance dans le rap. On n'a pas fini d'être étonnées.
(Nekfeu, Alpha Wann, Sneazzy, Areno Jazz, manquent DJ Lo et Fonky Flav)
INTERVIEW 1995
Premier constat dès l'arrivée à Fri-Son: 1-9-9-5 a des fans bien hardcore. Non mais sérieux, on n'avait plus vu de pique-niqueurs de quinze ans depuis qu'on avait nous même quinze ans. C'est un peu flippant mais bon, pas le temps de grignoter du Babybel sur le trottoir humide : le groupe nous attend, et il est ponctuel (ça aussi c'est flippant, et pourtant c'est vrai).
On entre, on serre des pinces, on surprend Areno Jazz au sortir de la douche (mais ouais salut) et, au final, on a droit à Nekfeu et Alpha Wann pour l'interview. Cool. Les 3 derniers membres du groupe sont réquisitionnés dans une autre pièce pour un entretien radio des plus expéditifs. Le cadre posé, chacun des six étalons est est calé dans son box et on peut commencer : 
Messieurs les faiseurs de "musique de langue", comment cultivez-vous votre verbe? Vous lisez? (Peu ou prou). L'affirmation fuse, puis on se fait plus nuancé; ils lisent, certes, lisaient surtout. Aujourd'hui c'est le rap qui accapare la langue, le temps et l'esprit. Ils citent tout de même des favoris qui nous étonnent: genre Tolstoï "Guerre et Paix" pour Nekfeu ou "Le Prince" de Machiavel lu par Alpha Wann. Ca fait un peu poseur pour des types qui se gardent bien d'affirmer des positions politiques nettes dans leurs textes. Mais en fait, selon eux, la lecture a surtout forgé un certain vocabulaire aujourd'hui prêt à l'emploi dans leur rap. Pour illustrer, Nekfeu parle d'une espèce d'effet "casino" où les mots défilent dans sa tête comme sur une machine à sous pour compléter ses phrases. Ok.
La métaphore s'applique-t-elle tout particulièrement en impro? C'est au tour d'Alpha Wann, le maestro, d'enchérir: "Au début, ça peut aider. Plus tu connais de mots, plus tu peux te débrouiller." Ça semble logique, même si Nekfeu a tôt fait de rappeler les contraintes techniques de la pratique. Il y a des rythmes, des schémas et tout un tas d'autres trucs à maîtriser (sauf qu'on ne comprend pas quoi car ils se mettent à parler en même temps).
Bien, et comment passe-t-on de la lecture au rap? "Disons que le rap s'est imposé à moi comme une évidence au moment où j'ai compris ce que c'est vraiment comme art au delà de ce que je croyais que c'était comme musique. C'était idéal pour moi, étant donné que j'ai toujours voulu écrire. Les contraintes techniques ont aussi apporté un plus, un challenge, comme une équation à résoudre." Autre tintement de cloche chez Alpha Wann selon lequel les deux pratiques qui l'animent depuis l'enfance sont distinctes et sans lien direct. Selon lui, il est même possible de rapper sans avoir jamais lu. Il suffirait d'une bonne dose de culot et de charisme.
Comme pour souligner le propos, on assiste alors à l'entrée de Sneazzy dans notre petite arène. Le jeune gars s'empresse de verser de la vodka dans les cacahuètes au wasabi et nous raconte une sombre histoire de lui, Sneazzy, soi-disant star du raï au Maghreb. Tu l'as dit bouffi. On rit quand même, DJ Lo et Areno s'incrustent eux aussi et les blagues fusent. Un peu gênées, on parvient encore à parler un tout petit peu de musique (apparement Nekfeu aime le rock et Fonky Flav, le grand absent, apprécie les orchestres) et c'en est fini. C'est quand même fou comme le simple fait d'enfermer quelques mecs qui s'ennuient dans une pièce en fait des veaux.
Reste que le concert était une pure éclate. On a rarement assisté à une telle débandade. Plus habituées aux caves sombres et aux grands maigrichons chevelus, on ne se sent pas trop à notre place au milieu de cette foule de sweat et casquettes. Les gens sont nombreux (très), jeunes (très très) et motivés (très très beaucoup). Vraiment, ça change. Sur scène aussi : pas d'attitude ténébreuse étudiée. Au contraire, les cinq rappeurs et leur DJ Lo misent plutôt sur l'échange et l’interaction. Ça tombe bien, le public connait toutes les paroles par coeur. Dès lors, les mecs peuvent faire faire n'importe quoi à la foule, que ce soit de bouger les bras, s'accroupir, chanter des trucs... - on fait tout! Et on est content en plus! En ce sens, franchement, 1995 c'est top. Un parfait divertissement. C'est à se demander ce qu'on attend vraiment des concerts en fait. Dans le cas présent, une baffe énergique agrémentée d'une bonne dose de rinçage d'oeil suffisaient amplement.

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