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Le viol des foules

Publié le 15 novembre 2012 par Eldon

© Inconnu

Comment  obtenir le consentement des foules? C’est le problème perpétuel des dirigeants surtout démocrates finalement qui craignent de perdre un pouvoir si chèrement gagné. Mensonges, omissions, désinformation, manipulation,… Tout est bon pour assurer la « fabrication du consentement ». Noam Chomsky l’a parfaitement décrit.

Normand Baillargeon, dans la lignée de Noam Chomsky, en se basant sur l’histoire vraie de la commission « Creel »,vient de publier un formidable article sur ce qu’il appelle le « viol des foules », qui abouti à un consentement extorqué, vicié qui donne à ses auteurs l’illusion de la démocratie mais qui cache en réalité un fascisme de la pire espèce.

Dans une situation financière mondiale catastrophique, à un moment où la tension est à son comble entre Israël et l’Iran pour des prétendues raisons d’armement nucléaire auxquelles nous ne croyons pas une seconde, on nous a déjà fait le coup, merci, il convient de réfléchir sur le consentement et la carte blanche que nous accordons à nos dirigeants et de se de mander s’il est aussi éclairé que nous le pensons.

Merci à Mlle Audrey.

« Le 11 novembre 1918, est signé un armistice qui marque le début de la fin de la Première Guerre mondiale. C’est cela qu’on célébrera ce dimanche et qu’on commémore par un petit coquelicot, lequel, le saviez-vous, est un hommage à un poème de John Alexander McCrae (1872-1918), un médecin-poète de l’Université McGill. (La phrase «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau / À vous toujours de le porter bien haut», qui figure dans le vestiaire du Canadien, en est tirée.)

On ne le sait pas assez, mais cette terrible guerre marqua aussi le début de la propagande moderne de masse et donna naissance à une industrie aujourd’hui florissante, celle des relations publiques.

Cette histoire mérite d’être contée: il me semble en effet qu’il soit difficile de pleinement comprendre le monde dans lequel nous vivons si l’on ignore totalement ces faits.

Revenons donc à l’année 1916, aux États-Unis. Le président Woodrow Wilson a été réélu, crucialement sur sa promesse de ne pas faire participer son pays à la guerre qui se déroule en Europe depuis deux ans déjà.

Mais, au début de 1917, cette entrée en guerre est décidée et l’on doit donc faire accepter cette décision à une population majoritairement contre cette politique et qui l’a expressément réaffirmé peu de temps auparavant.

Voilà une situation qui ne cessera plus de se poser dans les sociétés industrielles modernes: la démocratie étant un obstacle gênant pour l’implantation des décisions prises par une minorité qui sait ce qui est bon pour la majorité, comment la contourner?

Pour résoudre ce grave problème, Wilson mettra sur pied leCommittee on Public Information, mieux connu sous le nom du journaliste qui le dirige, George Creel – d’où commission Creel.

En quelques mois, elle mobilisera tous les moyens possibles (radio, presse, télégraphe, affiches, notamment) pour faire changer d’avis l’opinion publique. Parmi ses innovations, ceux qu’on appellera les «four minute men», des personnages souvent connus de leur milieu (le médecin, l’avocat, l’instituteur) qui prononcent en public des discours de quatre minutes pour aviver la ferveur martiale. Il se prononcera, estime-t-on, plus de 7 millions de ces discours durant le travail de la commission Creel, laquelle connaîtra un immense succès et permettra aux États-Unis d’entrer en guerre. Hitler attribuera en partie la défaite de l’Allemagne à l’efficacité de la propagande américaine et n’oubliera pas la leçon le moment venu. Il ne sera pas le seul.

Parmi les membres de la commission Creel, on trouve Edward Bernays (1891-1995), double neveu de Freud et qui, avant de faire partie du comité, avait inventé diverses techniques originales de publicité associant un produit à un désir secret ou refoulé. Au sortir de Creel, il mettra ses talents au service de la fabrication de l’opinion publique par la propagande – il emploie lui-même ce mot – afin de permettre à ceux qu’il appelle la «minorité intelligente» de diriger la foule par un «gouvernement invisible». Il nommera le service qu’il offre aux gouvernements, aux entreprises et à qui peut se le payer «les relations publiques». Son meilleur et plus fumant coup, si j’ose dire, sera peut-être, travaillant pour l’industrie du tabac, d’amener les femmes américaines à fumer, doublant potentiellement ainsi les profits de ses clients.

La Première Guerre mondiale aura été le grand laboratoire du «viol des foules par la propagande» et aura permis de découvrir les conditions de sa remarquable efficacité. Elle aura donné le ton au siècle qui s’amorçait. L’Australien Alex Carey a bien résumé tout cela en disant du 20e siècle que «trois phénomènes d’une considérable importance politique l’ont défini». Le premier, disait-il, est «la progression de la démocratie», notamment par l’extension du droit de vote et le développement du syndicalisme; le deuxième est «l’augmentation du pouvoir des entreprises»; et le troisième, «le déploiement massif de la propagande par les entreprises dans le but de maintenir leur pouvoir à l’abri de la démocratie». J’ajouterais le mot «gouvernement» à ces phrases et elles me sembleraient alors pointer vers quelque chose de très important pour la compréhension de nos sociétés.

Regardez la publicité, omniprésente. Regardez le débat sur le gaz de schiste, chez nous. Voyez à qui appartiennent la plupart des grands médias. Regardez les élections américaines. Et ayez une pensée pour la commission Creel.

Notez, enfin, qu’il n’y a aucune conspiration dans ce que je décris. Tout cela est du domaine public, bien connu si l’on prend le temps de se renseigner. Les acteurs comme leurs intentions sont transparents. Ils sont ce que présupposent les institutions qui sont les nôtres, avec le résultat qu’on peut raisonnablement en attendre. Il est relativement facile de voir tout cela, de le voir dans toute sa nudité.

Je vous assure que ce n’est pas très joli.

Moins encore si on le rapporte à un idéal de démocratie délibérative où les citoyens ne sont pas de simples spectateurs médiocrement informés, mais sont plutôt en mesure d’échanger substantiellement sur des sujets qui leur importent et de prendre à leur propos des décisions qui ont de réelles chances d’être implantées par eux et elles. »

Source: Voir Montréal


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