La France est-elle devenue le maillon faible de l’Europe ? Certaines pages du rapport Gallois le laissent penser. Mais, à l’étranger aussi, on s’interroge.
Par Jean-Yves Naudet.
Article publié en collaboration avec l'Aleps.
La France est-elle devenue le maillon faible de l’Europe ? Certaines pages du rapport Gallois le laissent penser. Mais, à l’étranger aussi, on s’interroge. La presse allemande titre « La France sera-t-elle la nouvelle Grèce ? » ; l’ancien chancelier Gerhard Schröder a des mots très durs pour le gouvernement actuel. Enfin, certains rats quittent le navire, tel Alain Minc, qui a déclaré dans une interview aux Echos « La France est en train de devenir le problème de l’Europe ». Cette dramatisation est paradoxale, au moment où le gouvernement annonce des mesures sur la compétitivité et où le Président se veut rassurant devant la presse internationale. Les observateurs ne seraient-ils pas mieux avisés en s’inquiétant du sort de l’Italie ou de l’Espagne ?« La France sera-t-elle la nouvelle Grèce ? »
Rude automne pour le gouvernement. Que l’opposition dénonce la politique suivie et l’absence de réforme, cela fait partie de la règle du jeu politique ; d’ailleurs les réformes que l’opposition réclame aujourd’hui n’ont pas été faites quand elle était au pouvoir. Que le rapport Gallois, dont la Nouvelle Lettre et Libres.org ont parlé la semaine dernière, souligne certains faiblesses dont les économistes parlent depuis trente ans, tout en en occultant d’autres (comme les 35 heures !), passe encore : Monsieur Gallois n’a pas été choisi au hasard, et ne dépasse pas les bornes du politiquement correct. Mais que l’Allemagne s’inquiète, voilà qui mérite attention.
Le quotidien Bild-Zeitung, le plus gros tirage de la presse allemande, n’hésite pas à dire que la France est « en chute libre » et titre « La France sera-t-elle la nouvelle Grèce ? ». C’est l’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui a déclenché l’attaque la plus virulente. Or il s’agit du père des réformes allemandes, mais aussi, comme membre du SPD, le parti social-démocrate allemand, de celui qui devrait être politiquement le plus proche de François Hollande : PS et SPD siègent dans le même groupe au Parlement européen.
Schröder fait part de ses inquiétudes
Que dit l’ancien chancelier ? « Les promesses de campagne du Président français vont voler en éclats face à la situation économique ». Il dénonce le retour partiel à la retraite à 60 ans, « non finançable » et l’augmentation de la pression fiscale, qui provoquera une fuite des capitaux. De quoi alerter les marchés. Et, ajoute-t-il, « Si la France commence à avoir des difficultés à se refinancer, elle aura un vrai problème ». « Le plus grand problème réside en Espagne, en Italie, mais aussi, je le dis discrètement, en France. Cela pourrait devenir un problème qui ne serait pas mineur ». Angela Merkel est tenue à plus de réserve, mais elle n’en pense pas moins.
Ce pessimisme est-il justifié ? Après tout, les pays du sud de l’Europe sont au cœur du cyclone. Pas nous. Pas pour l’instant. La dette grecque est supérieure à la nôtre, le chômage espagnol plus élevé que le nôtre, et les marchés n’ont pas (encore) pris une grosse prime de risque qui aurait fait exploser les taux d’intérêt. Pourquoi s’inquiéter ? Pour une raison facile à comprendre : les Etats qui s’en sortent en Europe (de l’Allemagne à la Suède) sont ceux qui ont fait des réformes, depuis le marché du travail jusqu’à la baisse des dépenses publiques : le résultat est visible sur le marché de l’emploi comme en terme de finances publiques. Les pays les plus malades, à commencer par l’Italie, économie la plus importante des pays du sud, ont entrepris des réformes courageuses, depuis la baisse des dépenses publiques jusqu’à l’ouverture des professions à la concurrence. Ils partent de loin, mais ont entrepris de vraies réformes.
La France seule à refuser les vraies réformes
Ce qui chagrine les Allemands, c’est que la France est la seule à refuser ces vraies réformes. Ce que craint G. Schröder, c’est que cette réalité n’apparaisse brutalement et que les marchés en tirent les conséquences. Certes, on annonce une réduction du déficit budgétaire : 3% en 2013. Mais comment ? Par des hausses d’impôts, ce qui va accentuer la récession et plomber à nouveaux notre budget : personne ne croit que nous serons à 3% l’an prochain, bâti de plus sur une hypothèse de croissance démentie par l’OCDE. La dette va mécaniquement augmenter, alors qu’elle atteint déjà plus de 90% du PIB. Or, nous sommes ceux dont la dette est la plus dépendante de l’étranger (à 67%, contre 5% au Japon !). La confiance dans notre capacité à rembourser est donc fondamentale, et elle peut disparaitre faute de réformes.
Le marché du travail est le plus rigide d’Europe. Le SMIC est à un niveau qui exclut du marché du travail les moins productifs. Les 35 heures, dont M. Gallois n’a pas eu le droit de parler, créent une rigidité artificielle de l’offre, tout en pesant sur les budgets publics. Les faux prix sont de retour, comme le montre l’exemple des honoraires des médecins. La concurrence n’existe pas pour les professions fermées, tandis que les services publics monopolistiques reviennent à la mode, on l’a vu récemment quand la SNCF a repris la main sur Réseau Ferré de France, pour couper court à toute concurrence.
Les dépenses publiques sont les plus élevées d’Europe : nous avons dix points de PIB (200 milliards) de plus de dépenses publiques que l’Allemagne; on dit que c’est pour permettre à notre système social « que le monde entier nous envie » de fonctionner ; mais sommes-nous tant satisfaits d’un système où l’on cotise de plus en plus et où l’on reçoit de moins en moins ? Allemands ou Scandinaves sont-ils socialement beaucoup plus mal lotis que nous ?
Qui accepte de se soigner et qui refuse
Les impôts, démotivants et désormais confiscatoires avec la super taxation à 75%, vont faire fuir ou au moins décourager les plus entreprenants ou les plus travailleurs. Qu’en pensent beaucoup de gens modestes, ceux qui jusque-là avaient des heures complémentaires défiscalisées ? Et les entreprises, elles, ont les taux de marge les plus faibles, le taux d’autofinancement le plus réduit et les charges et impôts les plus lourds.
La France n’est pas le pays le plus malade de l’Europe ; mais c’est celui qui a, avec le plus de constance, refusé toutes les réformes. La question n’est pas de savoir qui est le plus malade, mais G. Schröder la pose simplement : qui accepte les réformes et qui les refuse ? On ne redresse pas un pays en huit jours : les réformes Schröder ont mis dix ans pour transformer l’Allemagne, jadis l’homme malade de l’Europe (à cause des coûts de la réunification), en nouveau leader.
On dira que le gouvernement a compris : le rapport Gallois lui aurait ouvert les yeux. Il pourrait aider les dirigeants à prendre conscience de nos faiblesses. Mais, d’une part, le même rapport écarte les vraies réformes (35 heures, retraites, marché du travail, fiscalité) et, d’autre part, il ne songe qu’à transférer les charges (des charges sociales vers la TVA ou d’autres impôts). Par contraste, une vraie réforme consisterait à réduire charges et impôts et à compenser cette réduction non par d’autres impôts, mais par une baisse radicale des dépenses publiques, donc par des privatisations et une réforme de notre Etat-Providence. Pourtant, le sujet reste aujourd’hui tabou. De la sorte, nous serons de plus en plus le maillon faible de l’Europe.
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Sur le web - Quelles réformes mener? Notre dossier spécial