Le pugilat entre
Jean-François Copé et François Fillon est devenu un duel à mort. Vendredi, les rivaux se sont donné de nouveaux coups d'épée par médias interposés. Dès potron-minet, c'est François Fillon qui
attaque le premier sur RTL en lançant : "Un parti politique, ce n'est pas une mafia, ce n'est pas un endroit où on peut étouffer des affaires." Et Jean-François Copé de répliquer : "Ce sont des
termes indignes, choquants et inacceptables. Je ne comprends plus ce qui se passe dans la tête de François Fillon."
À midi, le casque bleu Alain Juppé appelle les protagonistes et leurs lieutenants à baisser les armes : "On ne peut pas continuer à travailler dans un contexte où l'on s'envoie des noms d'oiseaux
de part et d'autre." Prenant la parole depuis sa ville de Bordeaux, le pacificateur Juppé liste alors une série de conditions pour que sa médiation entre les deux ennemis puisse être efficace :
les invectives entre les deux camps doivent cesser, la commission de recours de l'UMP doit ajourner sa première réunion de dimanche, ses membres ayant pris parti pour Copé ou Fillon sont appelés
à se mettre en retrait. En creux, Alain Juppé reconnaît la commission des recours de l'UMP - cet organe interne chargé de réexaminer les résultats de l'élection -, mais il la place sous sa
surveillance.
"Si on met un pied chez Juppé, on est mort"
À 12 h 10, François Fillon éteint sa télévision et fait aussitôt connaître son accord en publiant un message lapidaire sur Twitter : "J'accepte toutes les conditions formulées par Alain Juppé."
De fait, il a entièrement confiance en son ancien ministre des Affaires étrangères, mais pas en la commission des recours, qu'il juge affiliée à Jean-François Copé. Pendant ce temps, au siège
parisien de l'UMP, le député-maire de Meaux réunit une quarantaine de ses soutiens dans la grande salle du deuxième étage. Sont présents son directeur de cabinet Jérôme Lavrilleux, les députés de
Paris Claude Goasguen, Patrick Balkany, Brigitte Kuster, Rachida Dati... Une idée forte se dégage de cette réunion de crise : "Si on déroge aux statuts et aux règles de l'UMP, ça devient
l'anarchie." Un peu après 13 heures, le verdict tombe : le député-maire de Meaux refuse tout net que les membres pro-Fillon ou pro-Copé se retirent de la commission nationale des recours. "C'est
le seul point qu'on ne peut accepter" dans les demandes d'Alain Juppé, "car, juridiquement, ce n'est pas possible. Ce sont les statuts du parti, on doit les respecter", justifie Jean-François
Copé. Mais c'est un prétexte. D'ailleurs, les membres de la Cocoe - la commission chargée de dépouiller les votes de l'élection - qui avaient pris position pour Fillon ou Copé s'étaient mis en
retrait avant l'été sans que personne s'en offusque.
En réalité, Copé ne veut surtout pas que le maire de Bordeaux mette son nez dans l'élection interne, car il le soupçonne de rouler pour François Fillon. "Alain Juppé n'a rien reproché à François
Fillon, alors qu'il a exprimé de très nombreux désaccords à mon égard et même dit assez clairement que j'avais passé la ligne jaune", confie le député-maire de Meaux. L'un de ses soutiens
renchérit : "Si on met un pied chez Juppé, on est mort. Il veut sa revanche sur les pains au chocolat."
Fillon veut "une instance collégiale"
Alors qu'une sortie de crise semblait se profiler, une nuit noire enveloppe de nouveau l'UMP. En effet, Alain Juppé s'est montré très ferme : "Si l'une des conditions posées n'est pas réunie, je
n'accepterai pas de poursuivre cette médiation. Je ne veux pas un accord de façade, mais une vraie volonté de travailler ensemble." La situation semble donc totalement bloquée. Alain Juppé,
François Fillon et Jean-François Copé se rencontreront néanmoins dimanche soir pour exprimer de vive voix leurs divergences. La médiation Juppé - exigée par François Fillon - ne devrait donc
jamais commencer.
Quelle sera l'issue du duel ? Copé et Fillon conduisent deux locomotives lancées à toute vitesse sur les mêmes rails. Chacun des protagonistes déroule sa stratégie. Jean-François Copé fait tout
pour sauver son poste de président de l'UMP, quitte à ce que cela abîme son image auprès des militants et des Français. "Je n'accepterai jamais que l'on me vole ma victoire. Tout prouve que je
suis élu", affirme-t-il en petit comité, évoquant les cas de "fraude massive" dans certains bureaux de vote des Alpes-Maritimes. Copé est convaincu que, s'il perd le parti, il pourra faire une
croix sur ses ambitions élyséennes. Quant à François Fillon, perdu pour perdu, il fait le maximum pour que son rival ne garde pas les manettes de l'UMP, ce qui pourrait, juge-t-il, l'empêcher de
rebondir à la primaire de 2016. Il mise donc sur Alain Juppé qui est favorable à la mise en place d'un "équilibre du pouvoir" grâce à une "instance collégiale" qui assisterait le président de
l'UMP. "Aucun président ne peut être bien élu à 50 %. Il faut que cela se finisse en direction collégiale", affirme un proche de François Fillon. Si la médiation Juppé était bel et bien proclamée
mort-née dimanche soir, les fillonistes ne se priveraient pas pour menacer de plus belle de créer leur groupe à l'Assemblée.
Dans cette histoire, l'UMP est la grande perdante. "La fin de l'UMP n'a jamais été aussi proche. Ce serait une catastrophe d'aboutir à une scission avec d'un côté un parti de droite bonapartiste
et de l'autre un parti de centre droit, sans compter celui de Borloo. Marine Le Pen peut sabrer le champagne", s'alarme un ancien ministre.
Source : Le Point