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La droite française est-elle libérale ?

Publié le 26 novembre 2012 par Copeau @Contrepoints

Que la droite française ne soit pas libérale n’a pas besoin d’être démontré. Sa pratique depuis 50 ans est contraire aux propositions constitutives du libéralisme. Il est plus intéressant de se demander pourquoi la droite refuse l’idée même de se dire libérale.

Par Serge Schweitzer.

La droite française est-elle libérale ?
Être de droite est disposition de l’esprit et de l’âme dans une tension vers signer sa vie, se révéler dans l’échange, qui tel un miroir, nous reflète.

Être libéral est de l’ordre de l’exercice de la raison. C’est une confiance dans notre capacité à voir juste tout en voyant à notre manière.

Être de gauche, c’est accepter de laisser la logique être submergée par le sentimentalisme et renoncer à utiliser notre boîte à outils pour comprendre pourquoi ce qui devait arriver arrive toujours.

Être socialiste, c’est rêver un monde à sa façon et à sa main dans lequel l’excitation de la jalousie des uns se cache sous la tunique de la justice sociale afin que la kleptocratie s’épanouisse, au détriment de ceux dont le talent au service des autres justifie la réussite. C’est, en toute bonne foi et bonne conscience, estimer juste de dépouiller les uns, les riches, pour habiller les autres, les pauvres. La vérité est que la spoliation des uns fait les suffrages des autres.

Être libéral consiste en l’exercice combiné de trois attributs qui s’irriguent les uns les autres : la liberté, la responsabilité, la propriété. La proposition inverse a comme déclinaison égalité, assistanat, irresponsabilité. Être libéral, c’est accepter que le jugement ultime soit porté non par quelques-uns, autoproclamés experts, mais par le plébiscite quotidien du consommateur.

Être socialiste, c’est généraliser à une notable partie de la tribu le privilège de quelques-uns, la kleptocratie.

Un libéral accepte la possibilité de l’échec. Il sait que son chemin a pour balise des essais, des erreurs, des corrections. Il se réjouit que les riches d’aujourd’hui soient les gueux d’hier et inversement. Un libéral sait que le résultat est le fruit de l’action des hommes et qu’il est donc inconnu et imprévisible. Le libéral lutte contre la tyrannie des droits acquis. Il se bat pour ceux qui ne possèdent rien originellement et qui, par le vote des consommateurs, grimpent dans la hiérarchie de la tribu.

Le libéralisme est la seule chance de ceux qui n’ont rien. En effet, la concurrence est ce mécanisme impersonnel qui pousse chacun à se surpasser par esprit de lucre, mettant de ce fait les biens et services les plus sophistiqués à la portée de tous. Il rend les vicieux vertueux. Le génie du libéralisme est de laisser émerger spontanément le système d’incitations issu des bonnes institutions qui fait d’un boucher acariâtre, d’un boulanger peu aimable, d’un brasseur revêche des individus qui, pour assouvir leurs desseins, ne peuvent y arriver qu’en servant les autres. Ceux-ci en retour leur procurent les moyens de leurs aspirations, nobles ici, là peut-être moins.

Évidemment, cette dernière proposition, « là peut-être moins », est fausse parce que le libéral se refuse à porter le moindre jugement sur les préférences ou indifférences des individus, pourvu que jamais elles ne débouchent sur la moindre coercition.

Être libéral, c’est penser l’individu comme irréductiblement libre et singulier. C’est le choix des moyens dans le subjectivisme radical de mes fins. C’est accepter de payer les conséquences de ses actions entreprises librement. La preuve que cette mise en œuvre de la responsabilité a été féconde pour d’autres ne peut s’administrer que si on peut se procurer les moyens de la preuve, c’est-à-dire la propriété.

Être libéral, c’est l’option préférentielle pour la justice de procédure, laissant la justice de résultat aux fanatiques de l’égalitarisme, pour qui la fiscalité est le bras justicier qui rétablit dans l’ordre des hommes une inégalité vécue comme injustice dans la dotation initiale. Les libéraux savent que chacun peut épanouir son talent, trouvera son public, que son offre rencontrera sa demande, que l’accordance de son talent sera consacrée par le désir des autres.

Le libéralisme est une procédure de tâtonnements et de découverte dans laquelle chacun se révèle à lui-même et où le désir des uns est satisfait par les propositions des autres. La diversité issue de nos talents, là de nos espérances, là encore de nos finalités, là enfin de nos choix intrinsèques de vie, est la marque de fabrique d’un ordre libéral d’où la diversité jaillit de l’innovation permanente qui, accumulée, engendre le progrès. Contrats et prix sont les manifestations de cet ordre.

Le libéralisme politique a apporté l’autonomie de la science sur laquelle s’est adossée l’explosion des connaissances, prélude à une éruption des richesses. Le libéralisme économique a vaincu pour la première fois dans l’histoire de l’humanité la malédiction de la rareté, de la misère.

Que la droite française ne soit pas libérale n’a pas besoin d’être démontré. Qu’il suffise de comparer sa pratique depuis 50 ans aux propositions constitutives du libéralisme. Il est plus intéressant alors, pour finir, de se demander pourquoi la droite refuse l’idée même de se dire libérale.

La raison de ce paradoxe profond réside dans le fait qu’un système reposant sur la poursuite de l’intérêt personnel, qui explique que c’est parce que chacun pratique le self-love que tous s’enrichissent, est difficile à comprendre pour beaucoup et heurte la morale commune de presque tous. En outre, l’idée d’ordre spontané est pour beaucoup une énigme. Mais surtout, cet ordre ramène les hommes de l’État à leur juste mesure, c’est-à-dire peu de choses.

Au-delà encore, que le résultat des contrats implicites et explicites que les individus passent soit inconnu ou différent de ce qui a été anticipé laisse à penser aux hommes de l’État que le résultat du marché donne une place centrale au hasard. Or le technocrate de l’ordre construit ne supporte pas un résultat imprévisible. Cela évincerait son caractère soi-disant prophétique.

La droite est souvent conservatrice. Elle adhère donc à l’idée la plus antinomique de la société libre, c’est-à-dire l’idée de l’homme providentiel. Si on adhère à l’idéologie de l’homme providentiel, celui-ci ne peut être que de l’État. De l’homme de l’État providentiel, on passe mécaniquement à l’État-providence.

La droite française, parce qu’elle est colbertiste invétérée et, pire que tout, ignorante, n’a pour ambition, déguisée en vertu, que de gouverner à l’aide de lois, nos vies, nos âmes et pensées. Elle ne sait pas que la vraie droite ne peut être que libérale puisqu’elle est acceptation de sa solitude, enchâssée dans la solidarité de nos dépendances mutuelles, sublimée par la certitude que développer ses talents ne peut s’accomplir que dans la liberté, la responsabilité, la propriété.

Mais la droite ne fera jamais sienne la trinité libérale. Celui qui choisit de vivre en volant les autres a par nature une moralité douteuse. Droite et gauche n’est pas un clivage pertinent. Accepter de vivre de l’argent volé ou de l’argent librement donné contre un service est une ligne de départage entre ceux qui vivent debout et ceux – les hommes de l’État et leurs esclaves – dont la posture couchée est le lit naturel.

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