Magazine Science & vie
Le succès d’un champion est d’abord dû au hasard, et secondairement à son talent
Publié le 27 novembre 2012 par Rbranche @RobertBranche
A la découverte de « Thinking, Fast and Slow » de Daniel Kahneman (7)Nous avons un problème avec le hasard et l’incertitude, nous cherchons constamment des explications à ce qui n’en a pas et nous surestimons l’impact que nous ou d’autres ont pu avoir sur les événements.Daniel Kahneman présente de nombreuses illustrations à l’appui de ce travers.Par exemple, « nous ne nous attendons pas à ce qu'un processus aléatoire aboutisse à de la régularité, et quand nous repérons ce qui semble être une règle, nous nous empressons de rejeter l'idée qu'en fait, le processus est bel et bien aléatoire. »Ceci m’a rappelé notre réaction quand, de façon inattendue, nous rencontrons quelqu’un que nous connaissons. La plupart d’entre nous sont étonnés d’une telle coïncidence, d’aucuns parlent du destin, quand certains vont même jusqu’à invoquer une « grand organisateur ». Or ce qui serait surprenant, ce serait que nous ne rencontrions jamais quelqu’un que nous connaissons, là ce serait un événement hautement improbable : il est en effet normal et quasiment certain de rencontrer quelqu’un que l’on connaît, mais sans savoir quand, ni où, ni qui… Par contre prévoir à l’avance qui, où et quand, là ce serait affaire de divination !Autre exemple, issu cette fois du sport : « La main magique n'existe pas dans le basket professionnel, que ce soit en cours de jeu ou en lancers francs. Bien sûr, certains joueurs sont plus précis que d'autres, mais la séquence de tirs ratés et réussis satisfait tous les tests du hasard. La main magique n'est vraiment qu'une vue de l'esprit, les spectateurs étant toujours trop prompts à vouloir déceler ordre et causalité au cœur du hasard. La main magique est une formidable illusion cognitive, particulièrement répandue. »Difficile d’accepter que le succès dans un tir est d’abord dû au hasard, et secondairement à la qualité du joueur. Et pourtant il suffit de regarder un match de football pour voir que bien peu de tirs sont réussis, ou, dans une compétition de golf, toutes les balles ne suivent pas les trajectoires voulues…Et l’importance de la chance et de l’aléa s’applique aussi au monde de l’entreprise. Ainsi comme l’écrit Daniel Kahneman, « Si le succès relatif d'entreprises semblables était déterminé entièrement par des facteurs que le PDG ne contrôle pas (appelons-les la chance, si vous voulez), vous vous apercevriez que dans 50 % des cas, la société la plus forte serait dirigée par un PDG moins efficace. Une estimation très généreuse de la corrélation entre la réussite d'une entreprise et la qualité de son PDG pourrait atteindre 0,3 – soit une intersection de 30 % entre les deux mesures. (…) Avec une corrélation de 0,3, vous croiserez le meilleur PDG aux commandes de la meilleure entreprise dans 60 % des paires – une amélioration de seulement 10 % par rapport à une estimation au jugé. (…) Ne vous y trompez pas : améliorer les chances de succès en les faisant passer de 1 pour 1 à 3 contre 2 est un avantage incontestable, tant sur le champ de course que dans les affaires. Mais du point de vue de la plupart des auteurs spécialisés dans le monde de l'entreprise, un PDG qui a si peu de contrôle sur les résultats n'aurait rien de très impressionnant même si son entreprise se portait bien. Il est difficile d'imaginer les gens faire la queue dans les kiosques pour acheter un livre qui décrirait avec enthousiasme les pratiques de dirigeants qui, en moyenne, font à peine mieux que la chance seule. »Troublant non d’apprendre que le succès est d’abord une affaire de chance ? Cela fait écho à cette histoire fameuse dans la culture chinoise, où un grand général apprend qu’il a gagné des batailles d’abord parce qu’il était à la tête de la meilleure armée, et secondairement à cause de ses propres décisions. Écho aussi à Léon Tolstoï qui, dans Guerre et Paix, montre comment la campagne de Russie de Napoléon Bonaparte fut essentiellement le fruit du hasard (1)…Un autre biais toujours lié à notre refus du hasard est notre incompréhension de la régression à la moyenne…(à suivre)(1) Voir mon article Oùpeut donc être la science là où tout est vague, où tout dépend de circonstancesinnombrables ?