Libération et l'OFCE expliquent le chômage et donnent des solutions : plus d’État, plus d'emplois aidés, ne pas baisser le coût du travail.
Par Baptiste Créteur.
Le chômage augmente en France, mais il n'y a pas besoin de changer quoi que ce soit : un avis de l'OFCE.
Libération donne la parole à un économiste de l'OFCE pour expliquer les évolutions du chômage. On pourrait penser que l'Observatoire Français des Conjonctures Économiques aurait des tas de bonnes explications à proposer, avec éventuellement des recommandations : c'est le cas, et elles sont excellentes.
D'abord, nul besoin de baisser le coût du travail ou de flexibiliser le marché :
Ce qui est intéressant, c’est le faible niveau du chômage avant la crise. Pour chaque pays, il existe un niveau de "chômage structurel", c’est-à-dire un taux en dessous duquel on ne peut pas descendre sans une inflation provoquée par la hausse des salaires. Or, début 2008, le taux était de 7,1%, sans tension inflationniste. Cela veut dire que le chômage structurel français est inférieur à ce niveau, donc qu’il est possible aujourd’hui de faire baisser le chômage sans "flexibiliser" le travail et faire baisser son coût.
Autre point intéressant : le chômage des jeunes, souvent dénoncé comme un "mal français", mais dont on voit ici qu’il est assez faible. En taux, certes, il atteint entre 22% et 25%. Mais ce taux est relatif à la population active. Or, seul un tiers des jeunes font partie de celle-ci, car la France les retient longtemps dans le système éducatif. Le taux "réel", 8%, se situe en fait dans la moyenne européenne. Du côté des seniors, ils sont de moins en moins nombreux à sortir de la population active. Autrefois, on les y incitait, par exemple par la retraite anticipée. Depuis, on a au contraire reculé l'âge du départ à la retraite.
C'est une évidence : il y avait moins de chômage avant la crise, on peut donc identifier un niveau de "chômage structurel" (par opposition au "chômage conjoncturel") que l'on peut retrouver sans rien changer. C'est comme ça. Que tous ceux qui pensaient que le coût du travail et le manque de flexibilité grévaient la compétitivité française se dénoncent.
Le chômage des jeunes, lui, n'est pas dramatique si on joue un peu avec les chiffres : parmi les jeunes qui cherchent un emploi, entre 22% et 25% n'en trouvent pas, mais ce n'est pas grave parce qu'ils ne représentent qu'un tiers des jeunes. Les autres, eux, seront tous des cracks après leurs brillantes études et auront du mal à choisir parmi toutes les offres qu'on leur fera dès la fin de leurs études - qu'ils n'ont sans doute pas prolongé faute de trouver un emploi décent.
Pour les seniors, ce n'est pas grave non plus : ça augmente, mais c'est parce qu'avant les chiffres étaient biaisés. Donc, même chose, ne changeons rien, et passons au chômage de longue durée.
Le niveau du chômage de longue durée est dramatique. Si l'on additionne les deux-trois ans et les plus de trois ans, on est à 850 000 personnes environ, un niveau qui n'a jamais été aussi élevé. Sans compter l'effet dynamique, par lequel, au cours du temps, les personnes vont passer d'une catégorie d'ancienneté à une autre : les "bleus" deviendront des "rouges", puis des "jaunes"... Le problème est qu'il est très difficile de faire reculer ce chômage de longue durée. Les gens qu'il concerne perdent en compétence puis, au-delà de deux ans, perdent l'indemnisation chômage et tombent dans les minima sociaux, c'est-à-dire la pauvreté.
Il s'agit donc d'une population qui peine à retrouver un emploi, même en cas de reprise économique. Or, en 1999, on était à des niveaux proches, mais la croissance est revenue peu après. Aujourd'hui, la croissance s'annonce faible pour les années à venir. La solution réside dans la formation et les emplois publics, car le privé ne prendra pas en charge ces gens-là. Un dispositif comme les emplois d'avenir permet de former les gens, mais aussi de les garder en contact avec le monde du travail.
La solution au chômage de longue durée ? Subventionner les emplois ou les financer intégralement ! Reprenons : le coût du travail n'est pas trop élevé. Donc, pour créer de l'emploi, rien ne sert de baisser les coûts, contentons-nous de subventionner les emplois ou de faire grossir les rangs des fonctionnaires, en les alimentant en personnel pas assez compétent pour être embauché ailleurs ("il est très difficile de faire reculer ce chômage de longue durée. Les gens qu'il concerne perdent en compétence"). Ce n'est pas un problème de coût, mais il faut subventionner ; et comme on n'a pas de problèmes de coûts, on peut faire peser un peu ces nouveaux emplois sur les emplois existants.
On découvre également que la flexibilité n'est pas un problème, à tel point que les chefs d'entreprise préfèrent payer chers les salariés pour partir et recourir à l'intérim dont les coûts sont plus élevés pour l'entreprise et qui n'offrent aux salariés que des perspectives de court-terme :
Les licenciements économiques sont très commentés. Mais, derrière cet effet de loupe, ils ne représentent que 2% ou 3% des entrées à Pôle Emploi. Les "autres cas" sont, on le voit, le principal motif d'entrée. Cet ensemble inclut notamment les ruptures conventionnelles, une procédure créée en 2008 et qui se substitue souvent aux licenciements économiques. Conclue par accord mutuel, elle permet au chef d'entreprise de ne pas avoir à motiver sa décision, tandis que le salarié obtient souvent des conditions de départ assez favorables : le patron préfère payer plus tout de suite, plutôt que de risquer ensuite un recours du salarié devant les prud'hommes. [...]
Enfin, l'intérim est souvent présenté comme anticipant les variations à venir du marché du travail. C'était vrai à l'époque où il concernait 150 000 à 200 000 personnes. Aujourd'hui, c'est 500 000 : un volume tellement important qu'il peut absorber tout l'ajustement de la masse salariale auquel procèdent les entreprises.
Voilà, tout est dit : ce n'est pas un problème de coût, pas un problème de flexibilité, mais on n'embauche pas parce que c'est trop cher et pas assez flexible. Ah, non, on n'a pas encore tout balayé : le chômage, surtout celui des femmes, est une conséquence des plans d'austérité en France, menés comme chacun sait depuis plusieurs années et ayant conduit à une réduction conséquente des déficits ayant permis de rembourser la dette...
Sur le fond, en catégorie B comme dans les autres, le chômage des femmes est supérieur à celui des hommes. Au début de la crise, cependant, c'est le chômage masculin qui a augmenté le plus rapidement, car l'industrie et le bâtiment, qui emploient surtout des hommes, ont été particulièrement touchés. Ensuite, ce sont les plans d'austérité qui ont fait sentir leurs effets, affectant les dépenses de l’État, les services, les associations... des secteurs plutôt féminins.
Cet argument, pourtant excellent, n'a pas encore été avancé par le gouvernement pour rejeter l'idée de mener un plan (ou des plans, on peut rêver) d'austérité : les plans d'austérité affectent surtout les femmes, et ça n'est pas compatible avec la vision ambitieuse du gouvernement sur la place de la femme dans la société.
Avec de tels économistes, capables d'analyser la situation sur la base des faits, d'expliquer les tendances et de formuler des recommandations aussi audacieuses que prometteuses, nul doute que le chômage ne restera pas longtemps un "navire lancé à pleine vitesse".
Certains veulent réduire le coût du travail et flexibiliser le marché (ce qui, on vient de le voir, ne sert à rien) et réduire la taille de l’État (c'est-à-dire mettre au chômage des femmes alors que l’État devrait embaucher les chômeurs longue durée trop peu compétents pour retrouver un emploi). Mais ce sont de méchants libéraux, qui refusent les subventions pour eux et pour les autres ; comment pourrait-on encore écouter des gens qui privilégient l'intégrité au confort anesthésiant de la prise en charge étatique ?