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"Rose Envy" de Dominique de Rivaz

Publié le 30 novembre 2012 par Francisrichard @francisrichard

"De son écrin d'or et de velours, tu sors un nouveau gloss, fondant et satiné, au goût délicat de bonbon. Tu l'appliques. Il souligne la forme régulière de tes lèvres.

Il a un nom.

Rose Envy."

C'est ainsi que se termine le livre de Dominique de Rivaz, par cette dernière adresse de la narratrice à son héroïne.

Un gloss? Pour ceux qui l'ignorent, comme je l'ignorais jusqu'ici, c'est le brillant à lèvres, ce produit cosmétique qui nous vient des States et que les jeunes femmes s'appliquent...

Ce court roman est dédié par l'auteur "aux femmes de toutes les époques, passées, présentes et à venir, médiatisées ou à jamais silencieuses, qui ont choisi, choisissent ou choisiront d'être une breathing living tomb, le tombeau d'un être qu'elles ont passionnément aimé".

Cette dédicace intrigante pousse les curieux à lire le livre, qui, une fois refermé, ne laisse pas de les... laisser perplexes.

La narratrice s'adresse à son héroïne à la deuxième personne du singulier, ce qui donne le ton. Celui des invocations.

Cette héroïne a quatorze ans au début de l'histoire. Elle est pensionnaire dans une école catholique. Une autre pensionnaire de son âge se ronge à l'intérieur d'une lèvre comme d'autres se rongent les ongles:

"Depuis ce jour où par curiosité tu as voulu faire comme elle, tu n'as plus jamais cessé de te ronger la bouche."

Bien plus tard, il y a peu, ce personnage, adepte de l'autodévoration, visite une exposition, Tous cannibales, qui est consacrée à l'anthropophagie et à ses représentations, dont celles d'autophages. Elle se sent investie d'une mission, celle de convertir les autres à se goûter eux-mêmes, et, pourquoi pas, à goûter à leur prochain.

Sa rencontre avec Pierrot change la donne. Elle ne se mange plus. En fait, subrepticement, elle ne se ronge plus les lèvres mais la joue.

Pierrot la surnomme Smoothie, du nom des frappés aux fruits, qu'elle confectionne. Elle trouve ce surnom "infiniment craquant". Avec lui elle vit intensément. Il a pour métier d'explanter des organes puis de les transporter dans un bac frigorifique.

Comme il ferme les yeux sur son autophagie, elle ne se moque pas trop de ses actes magiques qu'elle trouve pourtant comiques.

Un crépuscule, Pierrot et elle conçoivent Crotchon, qui signifie petiot pour lui, quignon de pain pour elle. Il naît. Quelques semaines passent.

Elle saisit en cours de route une émission consacrée à l'histoire d'Artémisia, reine d'Halicarnasse, qui a épousé son frère Mausole. A la mort de ce dernier, elle a fait ériger un grand tombeau en son honneur, l'une des sept merveilles du monde. Inconsolable, elle a "mêlé quotidiennement à son vin un peu des cendres de son mari défunt".

Crotchon, victime de la maladie bleue, meurt. Il est incinéré. En cachette de Pierrot, elle dévisse l'urne qui contient les cendres de son enfant et s'aperçoit qu'elle est vide. Elle est prise d'une douleur indicible. Elle ne pourra pas faire de son corps la sépulture de Crotchon... Pour écarter la cause de son chagrin, Pierrot emporte l'urne dans un endroit connu de lui seul.

Pierrot meurt à son tour dans un accident de la route à la suite d'un appel qu'il a reçu alors qu'il était de garde. Ce sont bien ses cendres que contienne une autre urne. Elle parvient à l'ouvrir en se blessant et en en répandant un peu du contenu, qu'elle transvase dans un autre récipient, "une soupière ancienne et fleurie".

Lors de la visite d'un musée, tout en se rongeant les lèvres, elle entend à nouveau l'histoire du "deuil démonstratif" d'Artémisia. Quatre peintres la représentent avec une cuillère et une coupe. En ces Artémisia elle se reconnaît, transpirante et pâlissante. Elle s'imagine faire de même avec une cuillère Ikea et un verre de vin de Corbières. Elle est alors prise d'un fou-rire communicatif.

En réalité aura-t-elle la force d'aller jusqu'au bout de leur exemple? Si oui, cessera-t-elle alors de se ronger les lèvres? La joue?

La réponse se trouve pour qui sait lire entre les lignes, dans celles de la fin, reproduites au début de cet article. Ces lignes expliquent également le titre du livre, dont la couverture est un portrait d'Artémisia effectué par Silvia Francia, d'après le portrait d'une jeune femme en Artémisia de Boltraffio.

Dominique de Rivaz a écrit là l'histoire d'une Artémisia, qui se pose des questions auxquelles la science, la littérature et l'art actuels peuvent répondre, sans que le lien ne soit rompu pour autant avec cette légende remontant à l'antiquité.

L'écriture est très dépouillée. Elle n'en est que plus persuasive. L'absence, parfois, de virgules entre les verbes, dans une phrase, donne au lecteur l'impression de se retrouver en apnée.

Pour les adeptes de l'amour-fusion, être le vivant tombeau de l'être aimé n'est-ce pas le plus beau témoignage que les femmes puissent donner de leur passion amoureuse?

Francis Richard

Rose Envy, Dominique de Rivaz, 80 pages, Zoé


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