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Journal d’un intervieweur séquestré : prologue.

Publié le 30 novembre 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Vous vous en souvenez peut-être, il y a quinze jours, notre ami Renan Apreski, au cours d’une interview des deux hommes qui étaient alors candidats à la présidence de l’UMP, a été enlevé par un groupe d’indignés. Bonne nouvelle : il est apparemment en bonne santé et bien traité par ses ravisseurs, comme en témoigne son journal, qu’il a réussi à nous faire parvenir et que nous commençons à publier aujourd’hui même sur ce site en exclusivité…

SAMEDI 17 NOVEMBRE, 11 H 10 : Voilà une heure que je suis réveillé. J’ai ainsi eu le temps de réorganiser des souvenirs qui restaient quelque peu confus du fait de la rapidité d’enchaînement des évènements. Je récapitule : Stéphane Hessel avait à peine donné aux jeunes indignés le signal pour passer à l’action qu’un petit groupe d’homme, s’étant saisis de moi, me bâillonnèrent et me couvrirent les yeux avec un second bandeau avant de me ligoter jusqu’à m’immobiliser complètement. Je craignis un instant de me faire assommer, mais il n’en fut rien : je fus simplement emmené de force vers un véhicule que j’identifiai, grâce au bruit de la porte coulissante et au confort assez frustre de la position qui me fut imposée par les circonstances, comme un fourgon de type Renault Trafic. Le bruit du moteur me conforta dans cette idée, je suis même étonné qu’ils aient réussi, avec un tel véhicule, à rester aussi discrets, mais je me souviens qu’ils avaient converti mes vigiles à leur cause et ne m’avaient pas laissé le temps d’appeler les forces de l’ordre. Je savais que je n’avais rien à attendre de mes invités, Jean-François Copé et François Fillon n’étant pas réputés pour être des modèles de courage et de philanthropie, et que l’enregistrement de l’interview arriverait trop tard à la rédaction du Graoully pour permettre à mes collègues de réagir rapidement. Privé non seulement de vision et de mouvement mais aussi d’ouïe à cause du bruit du fourgon, je ne pouvais absolument pas savoir vers où mes ravisseurs me conduisaient. L’angoisse laissa assez rapidement la place au sommeil puisque, malgré les cahots et le vacarme, le conducteur et ses copilotes roulèrent pendant des heures sans que la tombée de nuit ne les arrêtât tandis que je fus vaincu par la fatigue.

La nuit passa comme un TGV à travers un champ de betteraves et j’eus la surprise de me réveiller dans une chambre assez confortable : je pus le voir tout de suite car je n’avais plus les yeux bandés, je constatai aussitôt que je n’avais plus ni bâillon ni liens, mais je ne pus vraiment jouir de ce relatif retour à la liberté de mouvements car j’étais vraiment interdit par la nature des lieux : je m’attendais à un lieu plutôt sordide, cave, hangar ou autre, et je me retrouvais dans ce qui était manifestement une chambre d’hôtel de luxe. J’avais une salle de bain personnelle et l’ensemble semblait assez richement décoré, dans le style de la bourgeoisie de l’entre-deux-guerres. À bien y regarder, cependant, il me semblait que ce luxe était quelque peu défraîchi et ravalé avec des bouts de ficelle : le lit Louis XV dans lequel je me trouvais était plein de fissures réparées avec des planches de bois bon marché, les dorures étaient déjà en phase de dégradation accélérée, le dépoussiérage du mobilier avait été fait à la va-vite, la jeunesse de mes draps contrastait violemment avec la sénilité de l’ensemble. Dans quel endroit pouvais-je me trouver ? Certainement pas un hôtel fréquenté, puisque mon dépôt n’y serait pas passé inaperçu, mais il ne pouvait pas non plus s’agir d’un hôtel borgne au vu de la configuration des lieux. Je penchai pour un hôtel de luxe abandonné, mais cette hypothèse, pourtant la seule plausible, ne m’en apparut pas moins invraisemblable : des hôtels de luxe qui font faillite, ça existe, mais en général, ils trouvent assez rapidement une entreprise ou un particulier pour les racheter ; or l’abandon des lieux semblait avoir eu lieu depuis trop longtemps : la seule prise de courant était celle de ma table de chevet et avait de toute évidence était installée récemment à la suite d’une percée dans le mur exécutée par un bricoleur amateur, ce qui indiquait que personne n’avait pris la peine d’installer l’électricité dans ces murs depuis que le dernier occupant avant moi avait quitté les lieux. Un hôtel de luxe totalement inutilisé depuis l’entre-deux-guerres ? Mais comment concevoir un seul instant que mes ravisseurs aient pu rester discrets, l’édifice dans lequel je pensais être reclus me paraissant de nature à ne pas pouvoir passer inaperçu, même s’il se trouvait dans une grande ville ?

Car j’étais bel et bien reclus : la porte était fermée de l’extérieur et l’insonorisation, prévue pour assurer la tranquillité à des voyageurs harassés par un long voyage, m’interdisait tout contact indirect avec ce qui se tramait dans le couloir. La seule ouverture était une fenêtre par laquelle je constatai que le bâtiment était adossé à une montagne, ce qui expliquait la discrétion dont purent bénéficier mes ravisseurs mais obscurcissait le mystère de la nature des lieux : il n’y avait aucune autre construction visible aux alentours,  il ne pouvait donc pas s’agir d’un site dédié à l’industrie touristique ou aux sports d’hiver. On m’aurait annoncé que je me trouvais dans une montagne encore sauvage que ça ne m’aurait pas étonné, mais quelle avait pu être la raison d’être de ce bâtiment trop luxueux pour les gens du coin, si tant est qu’il y en avait ? Une chose était certaine : toute tentative d’évasion était à exclure, la poignée de la fenêtre étant cassée et la chambre se situant à trop haute altitude pour permettre une descente ne menaçant pas mon intégrité physique, d’autant que je reconnus en bas trois de mes vigiles qui montaient la garde. De toute façon, la plus proche agglomération était sûrement difficile d’accès à pied. Bref, plus j’essayais de percer le mystère, plus celui-ci résistait.

Journal d’un intervieweur séquestré : prologue.

Une photo prise de la fenêtre de la chambre où Renan est enfermé grâce à un appareil que ses ravisseurs ont accepté de lui prêter. Si vous avez une idée de l’endroit dont il s’agit, n’hésitez pas à nous le dire.

J’avisai tout à coup quelque chose qui m’avait échappé : le petit déjeuner était servi ! Mes geôliers étaient bien renseignés sur mes habitudes  matinales : café, pain beurre, orange pressée, rien ne manquait ! Pour des indignés, ils étaient raffinés et, surtout, ils étaient bien informés sur ma personne : il est vrai que j’avais laissé les caméras d’une émission de télévision me suivre toute une journée. Tenaillé par la faim, je m’empressai de m’alimenter sans prendre la peine de me demander s’il n’y avait pas un piège. Voilà bientôt trois quarts d’heure que j’ai tout avalé, et il ne se passe rien : même si on y avait mis un poison lent, je devrais déjà commencer à en ressentir les effets. Manifestement, les indignés ne semblent pas disposés à prendre le risque de faure une mauvaise publicité à leur mouvement en m’infligeant de mauvais traitements. Je reste tout de même assez inquiet : je n’ai aucun moyen de communiquer avec l’extérieur, mon téléphone portable étant resté dans le studio d’enregistrement, et je n’ai pas la moindre idée de ce que peuvent être les exigences des mes ravisseurs. Il me reste à attendre…

14 H 30 : Il y a une demi-heure, trois messieurs très polis, quoique assez débraillés, sont entrés me servir mon repas : carottes râpées, œufs au plat, banane. Rien de très sophistiqué, mais c’est nourrissant. J’ai bien sûr posé des questions à ces serveurs de toute évidence improvisés, mais je me suis heurté à un mur d’indifférence courtoise. Je leur demande où nous sommes, ils me souhaitent bon appétit, je leur demande ce qu’ils comptent faire de moi, ils me répondent « si vous avez besoin que quoi que ce soit, n’hésitez pas à nous le dire » ! Je dis « ils », mais il faudrait plutôt dire « il » car un seul des trois larrons m’a répondu, qui plus est avec un accent chantant du sud : les deux autres n’ajouraient que leurs sourires stoïques aux propos de leurs camarades, sans manifester la moindre émotion, à croire qu’ils ne parlaient même pas le français… Le mystère ne fait que s’approfondir, rien de tout cela n’est suffisant pour me dire où je peux me trouvais. Mes geôliers n’ont pas l’air tellement redoutable, mais ils sont supérieurs en nombre, la rébellion serait donc risquée sans complicité ni plan d’évasion rigoureux. Que vais-je devenir ? Ma libéreront-ils ? Et à quelles conditions ?

22 H 00 : J’ai passé l’après-midi à me poser des questions sans pouvoir trouver aucune réponse : j’ai fini par me résigner à l’ennui, n’ayant pour seule occupation que l’observation détaillée de la chambre, sans pouvoir en tirer le moindre indice. La salle de bain aussi a été aménagée récemment : manifestement, avant qu’un individu non-professionnel n’y mette des robinets en prévision de mon arrivée, il n’y avait même pas l’eau courante ! L’idée d’un abandon lointain, malgré ce qu’elle comportait d’incongruité, se confirmait. Avant la tombée de la nuit, trois autres individus sont venus m’apporter une barquette de saucisses-frites qui avaient déjà commencé à refroidir : leur courtoisie est tellement digne des professionnels de l’hôtellerie que je pense un instant à me plaindre de la qualité des mets servis ! Je redescends sur terre aussitôt après et repose mes questions. « Vous le saurez en temps voulu. » s’est contenté de me répondre l’un d’entre eux sans se départir de son amabilité. J’essaie tout de même de les percer plus avant : « Dites, ce n’est pas vous qui m’avez servi, à midi.

-   On se relaie… »

S’ils se relaient, c’est qu’ils sont assez nombreux : manifestement, ils prennent mon cas au sérieux, et s’ils me traitent ainsi, c’est qu’ils ont besoin que je sois en bonne santé physique et mentale. Je décide d’en profiter : « Vous n’auriez pas un peu de lecture ?

-   Pas de problème, je vous fais monter un livre », a répondu mon geôlier.

Peu de temps après, je recevais Germinal de Zola, une référence que je ne trouve pas étonnante venant des indignés… Je l’ai déjà lu pendant mes études, mais ça me fera toujours passer un peu le temps. Le sommeil me gagne et j’écris ces lignes avant d’éteindre la lampe.

À suivre…

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