Moi, fan de Jacques Tardi depuis les albums d’Adèle Blanc-Sec, en passant par les quatre tomes du Cri du peuple, les adaptations des romans de Céline, Léo Malet, Daniel Pennac ou Jean-Patrick Manchette … je ne pouvais passer à côté de cette œuvre en forme d’hommage à son père René, jeune engagé dans l’armée à la veille de la seconde guerre mondiale, dans laquelle comme tant d’autres il allait être « fait aux pattes » en mai 1940, exactement comme mon père, mon héros à moi …
Car c’est bien dans le même camp, ce Stalag IIB, entre Stettin, Hammerstein et Stragard en Poméranie que Jean Mens, mon père, passa sa captivité telle qu’il la raconta, lui aussi, sur des feuilles d’écolier, cette histoire que j’ai fidèlement retranscrite sur ce blog dans la rubrique « Affaire terminée, j’arrive … »
Avec René – et Jacques – je visualise le cadre atroce de cet entassement de jeunes hommes, des années durant, dans le froid, la neige et un régime alimentaire minimal. La faim … C’est le mal absolu, la violence aussi, les poux, la pelote, mais aussi l’amitié et la débrouille, le troc, l’indiscipline qui met les « Schleuhs » hors d’eux.
A la différence de René Tardi, Jean mon père n’a eu de cesse de s’évader. Dès le premier jour. Il a dû s’y reprendre à trois fois, la troisième étant enfin la bonne puisqu’il passa la ligne de démarcation à Loches le vendredi 13 février 1942, pour se lancer aussitôt à nouveau dans le combat. Ses souvenirs étaient moins sombres, mais jamais il ne nous en a parlé, lui non plus …
Ce que j’ai aimé dans le livre de Tardi, c’est le parti-pris de réalisme, encore très en-dessous de la réalité certainement, mais décrit avec beaucoup de justesse : l’accablement, le sentiment de la défaite, la colère immense devant l’incompétence des chefs, la désorganisation de l’armée française face à une stratégie allemande bien plus efficace. Qu’on se souvienne du récit de Marc Bloch « L’étrange défaite ». Cinq ans enfermés sans savoir quand ce cauchemar pourrait cesser … il y a de quoi vous changer un homme pour la vie. On pense aussi à "Maus" d'Art Spiegelman, la référence en la matière ... mais ici, tout sonne tellement plus français !
Il y a aussi la tendresse figurée par l’omniprésence de ce fils que René n’a pas encore eu et qui lui pose des tas de questions techniques ou fondamentales : comment tout ceci pouvait-il être possible, tant d’hommes parqués sans réagir … Un livre qu’il faut transmettre à de jeunes adolescents parce que cette vision de la guerre, nul ne la communique comme ça. A la différence des jeux vidéos, c’est moche, c’est triste, c’est vrai …
Avec comme toujours, les visages typiques de Tardi, reconnaissables entre mille, le ciel plombé, la reconstitution minutieuse du sinistre décor, des mécaniques et des uniformes. On sentirait presque l’odeur de la chambrée en fermant les yeux. Et, finalement, une certaine retenue politique, ce qui n’est pas si fréquent chez Jacques Tardi, le révolutionnaire !
Vivement la suite !
Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB (1ère partie), par Jacques Tardi, chez Casterman, 188 p. 25€.