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"Les oiseaux noirs de Calcutta" d'Anne M.G. Lauwaert

Publié le 06 décembre 2012 par Francisrichard @francisrichard

Si vous n’êtes pas de ceux qui se bercent d’illusions sur l’aide au Tiers-Monde et que vous préférez regarder la vérité en face, alors Les oiseaux noirs de Calcutta est un livre pour vous.

Cela ne veut pas dire que vous tirerez pour autant les mêmes conclusions qu’Alice, l’héroïne de cette histoire tirée d'une histoire vécue, mais fictive, qui se passe au Bengale occidental, il y a quelque vingt ans. 

Alice est au milieu de la quarantaine. Elle est hollandaise. Elle décide de consacrer six mois de sa vie à un orphelinat misérable et crasseux situé dans la périphérie de Calcutta et supervisé depuis Genève par une ONG, aux luxueux bureaux.

Alice résilie donc son contrat de travail en Suisse, fait une croix sur tout revenu pendant six mois, et laisse derrière elle famille et amis.

Alice veut s’occuper de vrais pauvres, comme s’il n’y en avait pas à proximité de chez elle. Elle pense trouver là-bas "l’authenticité, le partage, la vraie charité". Avant de rejoindre son poste de "social worker", elle voyage un peu en Inde. Mais, en proie aux épuisantes "persécutions des mendiants et des attrape-touristes", elle a hâte de se rendre utile aux enfants abandonnés de Nilbari, sa destination.

Alice n’est pas croyante. Elle n’est pas tendre avec les religions, qui, pour elle, ne devraient plus exister et n’ont plus aucun sens. En effet, au fur et à mesure que les énigmes sont résolues par la science, le merveilleux s’estompe et, selon elle, il n’a donc plus lieu d’être. Son séjour en Inde ne fera que la renforcer dans cette conviction.

En Inde, que trouve-t-elle? Des gens qui se battent entre eux parce qu’ils appartiennent à des religions différentes, des gens qui, dans leur vie quotidienne, semblent "tous bigots, frustrés et inhibés" et qui, "embourbés dans leur glu ancestrale", fonctionnent comme ça:

"S’asseoir, boire le thé et attendre que les solutions tombent du ciel…ou de la poche des donateurs ou du travail des bénévoles."

En se rendant au Bengale occidental, qui, à l’époque, et jusqu’à récemment, est "un des derniers pays communistes au monde", elle comprend que l’Europe mérite son bien-être, car elle a travaillé pour, et que les Indiens, s’ils veulent manger, tout simplement, doivent travailler, à un rythme de travail comparable à celui des Européens, rythme qu’ils sont alors incapables de seulement imaginer.

A sa grande déception, les pauvres en Inde ne sont ni bons ni accueillants. Ils ne s’intéressent qu’aux dollars... Et ceux qui, membres du "Governing Body", dirigent Nilbari, n’ont pas pour but "d’améliorer le sort des enfants, mais de recevoir de l’argent", qu’ils peuvent "gérer sans le contrôle des donateurs, pour leur propre intérêt."

Le résultat est qu’après trente ans d’existence, à Nilbari, tout est encore "provisoire, brinquebalant, improvisé". Comme Alice est "la première à dire, ce qui ne [fonctionne] pas, à critiquer les magouilles au lieu de s’extasier devant les niaiseries hypocrites", elle ne se fait évidemment pas bien voir du "Governing Body". C’est pourtant une erreur de cacher ce qui ne fonctionne pas "au lieu de diagnostiquer ce qui cloche et d’essayer d’y remédier".

Alice tente d’éduquer et de former ces enfants abandonnés, qui sont bien souvent des handicapés physiques – la polio fait des ravages parmi eux – ou des handicapés mentaux. Ce faisant elle se prend d’affection pour l’un d’entre eux, le petit Trouvé, "aux os de verre et au rire cristallin".

Tout étant toujours à recommencer, elle se demande si cela un sens de vouloir imposer des solutions que les Indiens ne demandent pas et qu’ils ne comprennent d’ailleurs pas. Elle finit par se décourager et n’a plus qu’une hâte, celle de rentrer en Suisse, d’abréger son séjour. Non sans scrupules toutefois :

"Les Européens qui venaient à Calcutta pour partager la pauvreté pouvaient à tout moment s’en retourner en Europe. Les vrais pauvres n’avaient pas d’issue…"

Sur le départ, Alice sent "la mort planer au-dessus de Nilbari, comme les grands oiseaux noirs planaient au-dessus de B. Garden"…

Que préconise-t-elle pour sortir un tel pays de sa misère?

"Pour commencer, des écoles! Ensuite les gens devraient comprendre d’eux-mêmes l’absurdité des religions, des traditions obsolètes et l’urgence du contrôle des naissances."

Une telle attitude d’esprit conduit évidemment à une vision désabusée de l’existence, qu’il m’est difficile de partager:

"Aussi longtemps qu’on est vivant, on est vivant…alors s’il n’y a pas d’après, c’est d’ici et de maintenant qu’il convient de tirer le meilleur parti possible."

Quoi qu’il en soit, je ne peux pas m’empêcher non plus de penser que l’Inde, pays émergent, qui s’est engagé dans une voie économique libérale, n’est peut-être plus, dans son ensemble, ce pays décrit par l’auteur, même s’il lui reste beaucoup de chemin à parcourir pour sortir tous ses habitants de la misère.

Francis Richard

Les oiseaux noirs de Calcutta, Anne Lauwaert, 312 pages, Tatamis


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