Encouragés par le gouvernement écolo-socialiste, les sénateurs ont décidé
d’une véritable révolution dans la bioéthique, en pleine nuit cette semaine. C’est la considération qu’on porte à la vie et à la personne humaine qui en est la grande perdante.
Depuis plus d’une vingtaine d’années, le très délicat sujet de la
bioéthique fut un thème relativement consensuel au sein de la classe politique. Les parlementaires des
majorités et des oppositions successives ont toujours su préserver une prudence sur ce thème où l’éthique, la morale, la science et l’économie sont imbriquées. Il a été convenu que tous les dix
ans, le Parlement réviserait ses lois sur la bioéthique. Après la première loi du 19 juillet 1994 et celle du 6 août 2004, une grande concertation était programmée pour la révision de 2014. La
loi n°2011-814 du 7 juillet 2011 a même donné l’obligation de recourir à des États généraux avant de recourir à la révision des lois bioéthique.
Pourtant, c’est en catimini, dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 décembre 2012, à minuit passé, que les
sénateurs ont approuvé la proposition de loi tendant justement à supprimer cette disposition de la loi du 7 juillet 2011 (ce qu’une loi fait, une autre loi peut évidemment le défaire) et à
imposer une véritable révolution dans la manière d’appréhender le sujet délicat de l’embryon humain et de
l’expérimentation sur des cellules souches.
Une forme contestable
Le fait que le gouvernement ait souhaité faire cette réforme sous forme de proposition de loi (d’origine
parlementaire) plutôt qu’un projet de loi (d’origine gouvernementale) montre à quel point le Président de la République François Hollande est inconsistant sur ces sujets importants en ne prenant pas la responsabilité directe de ce débat. Cela a eu pour effet pervers que le texte initial n’est
pas passé par le filtre juridique du Conseil d’État (rappelons que l’amendement sur les tests ADN pour la loi
Hortefeux en novembre 2007 n’avait pas, lui on plus, eu d’avis du Conseil d’État puisque d’initiative parlementaire).
La proposition de loi portée par le sénateur Jacques Mézard (président du groupe RDSE, à savoir les sénateurs
radicaux) et ses collègues a été adoptée par une large majorité de 203 voix contre 74 sur 305 votants. Au-delà des 127 sénateurs socialistes, 20 sénateurs communistes, 18 sénateurs radicaux et 7
sénateurs écologistes (sur 12), cette proposition a été confortée par le soutien inattendu de 11 sénateurs centristes (sur 32) et de 20 sénateurs UMP (sur 131). Et moins de la moitié des
sénateurs UMP (59 sur 131) ont voté contre le texte.
Notons par ailleurs que les deux séances publiques consacrées à la discussion du texte au Sénat, les 15 octobre 2012 et 4 décembre 2012, ont toutes les deux débuté après vingt-deux heures, ce qui, pour un sujet
si crucial, est assez regrettable et décevant.
Un fond qui remet en cause la notion de vie humaine
Que dit le texte ? En gros, il ne transforme à court terme pas grand chose de l’état actuel de la
recherche sur les embryons humains. Mais il fait une transformation majeure : au lieu d’interdire l’expérimentation sur les cellules souches embryonnaires avec des possibles dérogations, il
autorise celle-ci sous les mêmes conditions que celles énumérées dans les dérogations.
On voit bien que concrètement, il n’y a pas beaucoup de différence. Entre 2004 et 2012, il y a eu
soixante-quatre protocoles de recherche sur l’embryon qui ont été autorisés par l’Agence de la biomédecine.
La sénatrice centriste de Lyon Muguette Dini l’a rappelé d’ailleurs en séance publique : « Aujourd’hui, on nous propose d’autoriser la recherche sur l’embryon en l’encadrant très strictement. Quelle différence cela ferait-il par rapport au fait
qu’actuellement, en France, des recherches sont menées sur l’embryon ? Aucun. ».
Pourtant, d’un point de vue symbolique, c’est cela qui fait tout. La loi du 7 juillet 2011 avait justement
bien évoqué une interdiction avec dérogation au lieu d’une autorisation avec encadrement. Car une fois l’autorisation donnée, c’est la boîte de Pandore ouverte. Il suffira juste de réduire
l’encadrement et il n’y aura plus de limite. C’est tout le contraire d’une interdiction avec dérogation qui reste ferme sur le principe.
L’économie plus importante que l’éthique ?
Muguette Dini a poursuivi ainsi son intervention : « Quelle différence cela ferait-il sur les protocoles de recherche ? Une grande différence. (…) Les chercheurs français pourraient enfin travailler dans
les mêmes conditions que les autres chercheurs, en particulier européens. ». Voici l’argument massue : être compétitif par rapport aux voisins sans réfléchir sur l’éthique.
L’argent a supplanté depuis longtemps Dieu !
Elle a cependant admis que cela pouvait poser problème en introduisant très bien l’enjeu : « Pourquoi le sujet est-il aussi sensible ? Bien sûr, parce qu’il touche à l’humain et à la question toujours posée : un embryon est-il un être humain dès sa conception ? La réponse à cette question est totalement personnelle ; elle dépend, pour chacun de nous, de ses conceptions
éthiques, religieuses, philosophiques. Les embryons sur lesquels les recherches sont conduites se définissent comme des "amas de seize cellules indifférenciées ayant au maximum cinq jours
d’existence". ».
D’ailleurs, le citoyen français a de quoi s’inquiéter de l’absence totale de réflexion éthique du Président François Hollande. Il l’avait d’ailleurs bien montré lors de
sa campagne en visitant en compagnie de Manuel Valls, député-maire d’Évry à l’époque, le Génopole d’Évry
le mercredi 22 février 2012 : « Aucune raison sérieuse ne s’y oppose. Une cellule souche embryonnaire n’est pas un
embryon. Certes, des limites sont nécessaires et ces recherches devront être encadrées et soumises à des autorisations préalables délivrées par l’agence de biomédecine de manière à éviter toute
marchandisation du corps humain. ».
En clair, François Hollande refuse certes la marchandisation (heureusement) mais n’est pas contre le
principe de l’instrumentalisation du corps humain, et cela, c’est très grave ! De plus, il n’avait visiblement rien compris au sujet : pour utiliser une cellule souche embryonnaire, il
faut détruire l’embryon, c’est donc une expérimentation invasive sur un germe de vie humaine.
Coïncidence, c’était justement cela qu’attendait l’industrie pharmaceutique. Ce signal d’autorisation pour
s’engouffrer dans la brèche de la marchandisation du corps humain. Du reste, ce n’est pas un hasard si un grand nombre de parlementaires socialistes souhaitent profiter de la loi sur le mariage des couples homosexuels pour autoriser la gestation pour autrui (les mères porteuses). Cette majorité ne
veut pas réfléchir sur les conséquences éthiques d’un progrès dont elle se veut à tout prix la promotrice pour oublier les vrais problèmes du peuple, à savoir le chômage, l’éducation et le logement.
Des embryons, il y en a même trop !
Le problème est immense. Depuis trois décennies, le succès de la procréation médicalement assistée a permis la naissance de plusieurs milliers de bébés mais a "fabriqué" également
des centaines de milliers d’embryons inutilisés, appelés "embryons surnuméraires". C’est un vrai problème éthique car ils sont des personnes en devenir. Les supprimer serait un acte sensiblement
équivalent à celui de l’avortement et les conserver (au froid) ne servirait plus à grand chose quand les parents biologiques auraient réussi à engendrer un ou plusieurs enfants et n’auraient plus
de projet parental, pour eux ou des tiers. L’Église (entre autres) est incapable de résoudre ce dilemme (entre détruire et conserver sans but). L’État doit certes être plus pragmatique (il doit
être lucide sur les réalités présentes) mais doit aussi contenir tout risque de débordement.
Ces embryons surnuméraires sont justement la "matière première" de ces recherches sur les cellules souches.
Il faut le reconnaître : aujourd’hui, il y a des possibilités réelles, par la science, de pouvoir utiliser les cellules souches d’embryons surnuméraires pour
soigner des maladies graves et encore inguérissables. Les pistes pourraient être prometteuses notamment dans la modélisation des maladies génétiques. Faut-il pour autant faire table rase de
l’éthique ?
Muguette Dini l’a explicité : « Une autre question
se pose : d’où viennent ces embryons ? La réponse, simple, mérite d’être une nouvelle fois rappelée : la recherche se pratique sur quelques embryons non réimplantés dans le cadre
des procréations médicalement assistées. Actuellement, en France, 160 000 embryons surnuméraires ne font plus l’objet d’un projet parentale et ne seront pas réimplantés. Au bout de cinq ans,
on demande aux parents biologiques de décider du sort de leurs embryons. Ils ont le choix entre une nouvelle implantation, le don d’embryons à un ou des couples stériles, la destruction ou le don
à la recherche. Cela a été dit, ce sont donc des embryons destinés de toute façon à la destruction qui seront utilisés pour la recherche. (…) Je peux comprendre, et je respecte, nos collègues et
concitoyens qui considèrent qu’on ne peut pas toucher à la vie humaine, même à son stade le plus élémentaire, celui de l’embryon. C’est d’ailleurs la position de nombreux membres de mon groupe
[UDI-Union centriste]. Mais si l’on suit leur logique, il faut interdire de nouveau [comme entre 1994 et 2004] totalement la recherche sur l’embryon. ».
Boîte de Pandore
L’expression "boîte de Pandore" que j’ai utilisée provient d’un autre sénateur centristes, le parisien Yves
Pozzo di Borgo, qui a voté contre le texte « parce que la loi de 2011 était le fruit d’un large consensus démocratique et parce qu’il s’agit d’une
modification majeure qui, a contrario, n’a pas fait l’objet d’une nouvelle concertation suffisante, pour ne pas dire que celle-ci a été inexistante ! Ce vote participe donc d’une véritable
insécurité et instabilité juridique. ».
Il a été très clair dans sa formulation : « L’éthique
commandait de ne pas ouvrir la boîte de Pandore en autorisant, par principe, la recherche sur l’embryon, c’est-à-dire en faisant de la vie humaine matière à expérimentation. L’éthique commandait
le maintien de l’interdiction assortie d’exceptions. La science ne réclame pas le contraire ! Les informations scientifiques portées à notre connaissance en juillet 2011 renforçaient déjà ce
choix éthique. Elles indiquaient que, pour faire avancer la recherche, il n’y a plus aucune nécessité d’expérimenter sur l’embryon. C’est bien pour avoir découvert une solution de rechange à
l’utilisation des cellules souches embryonnaires que les professeurs John Gurdon et Shinya Yamanaka viennent de se voir décerner le prix Nobel de médecine 2012. ».
En clair, Yves Pozzo di Bordo a expliqué en quelques sortes qu’il n’y avait plus besoin de faire des essais
nucléaires sous-marins car on pouvait maintenant les modéliser.
Il ne faut pas jouer à l’apprenti sorcier. Il n’est pas acceptable que
l’État ne protège pas vivant face aux impératifs économiques gigantesques. Il est dit aujourd’hui que seuls les embryons surnuméraires peuvent être utilisés. Mais qui garantit que demain, le
médecin qui accompagnera des parents pour une PMA ne fabriquerait pas plus d’embryons que nécessaires pour accroître son stock de matière première d’expérimentation ?
Les risques sont là
Après tout, on pourrait également soigner des personnes en utilisant des organes prélevés sur des personnes
vivantes. Ou qui seraient restées en vie sans cela. Le trafic d’organes humains est évidemment interdit dans tous les pays. Pourtant, la Chine populaire ne semble pas voir de problèmes éthiques particuliers à prélever des organes sur ses condamnées à
mort juste après leur exécution…
Amalgame ? Non justement, parce que lorsqu’on ouvre une vanne de la facilité et de l’argent, on ne
pourra jamais la refermer. Les risques sont nombreux : instrumentalisation du vivant, marchandisation, pour finir par un certain eugénisme. Le professeur Jacques Testard avait renoncé à ses
recherches pour cette raison. Il combat avec la même énergie l’idée de diagnostic prénatal car il craint une uniformisation des critères pour laisser une grossesse à terme.
Pour comprendre l’enjeu éthique de ce débat à mon avis pas assez médiatisé, il suffit juste de penser que les
personnes autour de vous qui vous sont les plus chères, elles aussi, ont été un jour, sous cette forme embryonnaire. Et vous êtes bien heureux de voir qu’elles n’ont pas eu d’expérimentation…
C’est à l’État, arbitre amoral mais sage, de définir fermement les limites de la recherche dans ces domaines
et de rester inflexible sur les valeurs fondamentales qui ont façonné le consensus républicain.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (7 décembre
2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Documentation sur la proposition de loi sur
les embryons humains (Sénat).
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
En quoi le progrès médical est-il amoral ?
ADN, pour ou
contre ?
Robert
Ewards couronné avec trente ans de retard.
Trente années de bébés éprouvette (fécondation in vitro).
Le fœtus est-il une personne à part entière ?
Les transgressions présidentielles.